Top Edge : Chapitre 16 - Sara
Enfilant la combinaison kaki soigneusement pliée, Shen Siwei profita de l'inattention des gens en bas pour sauter sur le bâtiment voisin.
Il poursuivit sa route sur les toits pendant un moment, jusqu'à trouver un quartier plus calme. Là, il descendit d'un étage et acheta un masque de grande taille dans un distributeur automatique à proximité.
Le masque affichait une rangée de dents de requin, avec une fermeture éclair au milieu pour pouvoir manger. Depuis que la ville était occupée par les réfugiés, il était devenu courant de voir des gens le visage couvert, il ne détonnait donc pas.
Le plus grand bar du centre-ville se trouvait près de la place de la musique, un secteur que Shen Siwei savait être sous le contrôle de Barn.
Il avait initialement prévu d'éviter la place et de rejoindre le bar en contournant la zone, mais à son approche, l'agitation montait, une foule de réfugiés s'était rassemblée.
Craignant qu'un incident ne se produise, il décida de se fondre dans la masse pour se rapprocher.
— Mon frère est allé se faire réparer le bras. Comment a-t-il pu disparaître comme ça ?
— Va poser la question à ton frère, répliqua quelqu'un.
Au centre de la place, les réfugiés étaient clairement divisés en deux groupes. Klet et Barn se faisaient face, la tension palpable entre eux.
Shen Siwei ne put s'empêcher de repenser à l'épisode de son enlèvement. L'atmosphère était tout aussi tendue. Selon les rumeurs qui circulaient, Barn avait recommandé à Klet son frère, un mécanicien, mais depuis qu'il était parti, on n'avait plus eu de nouvelles.
— Très bien, dit Barn, manifestement frustré. Parlons d'autre chose. Comment avancent les négociations ?
—
On est toujours en train de « négocier, et je me souviens pas que ça te
concerne », répondit Klet d'un ton détaché, les bras croisés.
— Tu
es sûr que c'est juste des négociations ? ricana Barn. Il paraît que ça
se passe dans la chambre, non ? C'est pas très approprié, tout de même.
Des rires fusèrent dans la foule. Près de Shen Siwei, quelqu'un commenta :
— J'ai entendu dire que Klet avait couché avec le négociateur, que tout l'immeuble les avait entendus.
Shen Siwei : « ? »
— Moi aussi j'ai entendu ça, ajouta un autre. Sauf que dans ma version, c'est le négociateur qui l'a vidé de toute son énergie, et il a accepté toutes les conditions.
Shen Siwei : « ... »
La personne à côté de lui se tut aussitôt et reporta son attention sur le centre de la place.
—
L'Arbre de Vie a été attaqué par tous ceux présents ici. Tu es censé
représenter nos intérêts à tous, fit Barn en se tournant vers la foule.
Comment savoir si tu défends vraiment nos intérêts ou juste les tiens ?
— C'est vrai !
— Les négociations doivent être publiques, pourquoi les faire à huis clos ?
— Que Barn participe lui aussi aux pourparlers !
Le tumulte monta du côté de Barn, jusqu'à ce que quelqu'un, debout près de Klet, intervienne avec détermination :
— Vous savez quelles conditions le négociateur a proposées ? Ils veulent qu'on quitte tous l'Arbre de Vie ! Il n'y a rien à négocier !
Quelqu'un du camp de Barn répliqua :
— Alors que le négociateur vienne parler lui-même ! Pourquoi le cacher ?
— Parce que certains veulent le tuer. Et vous voulez vraiment savoir ce qu'il se passera s'il meurt ici ?
— Alors commence par expliquer pourquoi certains de nos gars disparaissent quand ils sont avec vous !
Voyant la situation dégénérer, Klet tourna légèrement le menton et fit signe à l'homme à ses côtés :
— Maiken.
Shen Siwei, dissimulé dans la foule, observait l'homme. Il l'avait déjà vu dans les dossiers, un médecin spécialisé en modifications corporelles illégales, avec des années d'expérience. Par rapport à sa photo de dossier, où il avait l'air vieux et imbu de lui-même, le vrai semblait plutôt raffiné et fragile.
Klet abaissa les bras, posant les mains sur ses hanches, près de son arme.
— Si je me souviens bien, dit-il, j'ai payé pour sécuriser le négociateur. Il m'appartient, donc où et comment on négocie, c'est notre affaire, pas la vôtre.
Franchement, Shen Siwei trouva ses paroles totalement déraisonnables.
Il rappelait l'incident du dollar pour le rabaisser encore une fois, tout en imposant son autorité de façon arrogante.
S'il devait évaluer la situation objectivement, il considérerait cette attitude comme contre-productive, ne faisant qu'attiser le conflit.
C'est alors que le plus bavard de ses voisins siffla bruyamment avant de lancer :
— Bien parlé !
Puis il se tassa comme une marmotte.
Klet tourna la tête, d'abord par automatisme, puis son regard revint immédiatement dans cette direction, les sourcils froncés.
— Pourquoi tu t'es accroupi avec moi ? lui demanda le bavard.
Shen Siwei, visage impassible :
— J'ai cru que j'avais fait tomber un truc.
Bien qu'il n'ait plus ni cheveux blonds ni yeux bleus, il valait mieux éviter Klet dans la mesure du possible.
Les discussions étaient arrivées à leur point de rupture, les deux camps n'allaient sans doute pas tarder à se disperser.
Shen Siwei choisit donc de partir, sans se rendre compte que le regard de Klet fouillait encore la foule.
Tandis que la majorité des réfugiés restaient concentrés sur la place, le bar, lui, était relativement désert.
Shen Siwei s'y installa, choisissant une table fréquentée, et commanda un cocktail d'une force moyenne. Il retira discrètement son masque à oxygène dissimulé sous son masque ordinaire.
Il allait devoir engager la conversation, mais parler avec le masque provoquait des mouvements suspects.
Le barman IA prépara rapidement la boisson, dosant chaque ingrédient avec une précision parfaite. Pas de touche humaine, mais le résultat serait impeccable.
Shen Siwei observait les gestes de la machine, sans encore avoir trouvé de cible pour entamer la discussion. C'est alors que la personne assise à côté prit l'initiative :
— Ça s'est calmé dehors ?
Il était le dernier arrivé, il était donc le mieux placé pour répondre.
Quand le cocktail fut poussé devant lui, il ouvrit naturellement la fermeture du masque, leva le verre et répondit :
— Presque.
L'autre marmonna :
— Barn cherche les embrouilles un jour sur deux. J'me demande quand ça va s'arrêter.
Shen Siwei but une gorgée et demanda :
— Vous n'y participez pas ?
—
Pas intéressé, répliqua l'homme, une barbe grisonnante encadrant son
visage fatigué. Les réfugiés sont comme du sable sec, à terme ils seront
expulsés de l'Arbre de Vie.
— Vous êtes bien pessimiste.
— C'est
un fait. Tout le monde utilise tout le monde, personne n'est responsable
de rien. Klet est pareil, il nous abandonnera sans hésiter si le
négociateur lui offre les bonnes conditions.
Shen Siwei s'intéressa à ses propos :
— D'après vous, quelles conditions il pourrait proposer ?
— Allez savoir. L'argent ? Le pouvoir ?
Mais à vrai dire, tout cela importait peu.
— Klet ne semble pas manquer d'argent, continua l'homme. Il ose aller en haute mer, alors c'est qu'il est loin d'être fauché.
Donc c'était ça. Klet était vraiment un fonceur.
La haute mer était une zone interdite que même l'armée évitait. Lui s'y rendait pour faire du butin.
— C'est vrai, poursuivit Shen Siwei. Peut-être qu'il vise un poste ?
—
Difficile à dire. Ce type passe sa vie dans les endroits dangereux.
J'le vois mal s'intégrer à un système. Même si on lui proposait un poste
officiel, pas sûr qu'il accepte.
Le soldat songea au tatouage dans le dos de Klet.
C'était peut-être une cartographie de ses expéditions.
— Dans ce cas, dit-il, il n'est peut-être pas si facile à acheter.
— Espérons, répondit l'homme en levant son verre.
Shen Siwei trinqua. Ils burent chacun une gorgée.
Il allait relancer la conversation lorsque les projecteurs s'allumèrent sur la scène. Une femme apparut derrière le rideau.
Une grosse fleur rouge derrière l'oreille, un éventail de plumes à la main, elle s'avança vers le public en faisant voleter sa longue jupe.
La salle explosa en applaudissements et en sifflements. La femme tourna sur elle-même sous la musique joyeuse et se mit à chanter.
Mélodie familière, tenue familière.
Shen Siwei fixait la chanteuse, l'esprit assailli d'images désordonnées, incapables de se recomposer. Son cerveau fonctionnait à plein régime, prêt à exploser. Les paroles étaient sur le bout de la langue, mais impossible de les chanter.
Autour de lui, les clients, y compris l'homme barbu, chantaient avec elle.
D'une voix faible, il demanda :
— C'est qui ?
— Tu sais pas ? s'étonna l'homme. Elle imite Sara, une chanteuse très célèbre.
— Sara...
— Malheureusement, elle est morte, dit-il avec un soupir avant de reprendre la chanson.
Le bruit autour de Shen Siwei devint flou. Il avait l'impression de tourner sur lui-même, seul dans sa spirale.
Il se souvenait.
Sa dernière mission avant la cryostase était de retrouver une chanteuse nommée Sara.
Tu peux peut-être passer inaperçu aux yeux des autres, mais comment tu peux penser que Klet va pas immédiatement remarquer le combo yeux noirs+cheveux noirs ? Bébé vraiment 😭😭

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