Top Edge : Chapitre 17 - Attention à votre ton, Lieutenant !
Les images de sa mémoire devenaient peu à peu plus nettes.
Dans son souvenir, Shen Siwei tournait la tête et apercevait du coin de l'œil la taille de l'homme à ses côtés, ce qui le poussait à se détourner légèrement en cachant ses lèvres derrière son verre pour murmurer :
— Cache ton arme.
L'homme à côté de lui tirait aussitôt sur l'ourlet de sa veste.
— Oups.
Shen Siwei était habitué.
— À chaque fois, t'es négligent.
Qu'il s'agisse d'un col mal ajusté ou d'un vêtement mis à l'envers, il l'avait réprimandé d'innombrables fois, sans que cela change quoi que ce soit.
L'homme souriait, toujours sans l'ombre d'un remords.
— Merci, lieutenant.
La scène s'interrompit brusquement. Appuyé contre le comptoir, Shen Siwei se massa les tempes du bout des doigts.
Il avait l'impression de regarder un film familier et pourtant étranger, dont il était à la fois spectateur et protagoniste. Une sensation profondément dérangeante.
— Ça va ?
L'homme avec qui il avait trinqué dut remarquer que quelque chose clochait. Sa voix s'éleva, ramenant Shen Siwei à la réalité.
La même grande table apparaissait dans ses souvenirs. Les images se superposaient à la réalité, expliquant les réminiscences soudaines.
— Ça va.
Il abaissa le bras et continua d'observer la chanteuse sur scène.
Le dernier visage qui lui revenait était celui de Leizhe, un petit emmerdeur.
Comme par hasard, son téléphone vibra.
[Moran : D'autres infos utiles ?]
Shen Siwei fixa l'écran affichant le nom Moran et les souvenirs reprirent le dessus, se déroulant en boucle.
En fond sonore, on entendait les voix du patron de l'izakaya et de quelques clients bavardant.
Leizhe faisait tourner son petit verre entre ses doigts et parlait nonchalamment :
— Le capitaine Moran est pas sorti en mission depuis un bail, tu crois qu'il va bien ?
Shen Siwei fixait le chef qui grillait des brochettes et répondit calmement :
— Contente-toi d'obéir aux ordres, t'en fais pas plus.
Il secoua la tête pour revenir au présent. Peu à peu, les fragments flous reprenaient forme et s'imbriquaient, dévoilant une chaîne logique.
Il se souvenait qu'à l'époque, il avait proposé un plan alternatif, que Moran avait rejeté, le jugeant trop risqué. Moran avait donc posté plusieurs agents autour de la résidence de Sara. Leizhe, lui, estimait que le plan de Shen Siwei était plus efficace et s'était montré critique envers Moran.
Tout ça pour une simple chanteuse...
Pourquoi Moran accordait-il autant d'importance à cette mission ?
Il manquait toujours des éléments clés, Shen Siwei avait beau se creuser la tête, impossible de se souvenir des détails.
Son cerveau surchauffait à nouveau. Une nouvelle alerte sur son téléphone :
[Moran : ?]
Il mit de côté ses pensées pour répondre.
[Shen Siwei : En cours.]
[Moran : Rentre à la résidence dès que possible.]
Rentrer à la résidence ?
Une ombre de doute et de confusion traversa son esprit.
Tant que c'était sécurisé, un rapport pouvait être transmis de n'importe où. La dernière fois, quand il était sorti des égouts pour faire son rapport sur la centrale en pleine rue, Moran ne lui avait rien dit.
Et habituellement, il ne prenait pas l'initiative de le contacter, ignorant s'il était disponible ou non.
Il savait que Shen Siwei avait changé d'apparence et était en mission, alors pourquoi cette soudaine urgence ?
Des soupçons diffus émergèrent, réveillant une autre mémoire.
Une femme en robe rouge gisait dans une mare de sang, la pluie l'éclaboussant de gouttes rougeâtres. Moran rangeait son arme, retournait le corps du bout du pied et déclarait sans émotion :
— C'est elle.
La femme fixait le vide, ses yeux grands ouverts, son teint blafard lessivé par la pluie.
Shen Siwei, stupéfait, s'écriait :
— Pourquoi tu l'as tuée ?
— Elle tentait de fuir, t'as pas vu ? répondait l'autre, toujours aussi calme.
— On aurait pu la rattraper. Pourquoi l'abattre ?
Shen Siwei était perdu.
— Tu veux me faire croire que t'es pas foutu d'attraper une femme en talons ? demanda-t-il.
— Attention à votre ton, Lieutenant !
La voix de Moran se durcissait.
— J'ai pas envie de perdre du temps. Et elle était déjà coupable.
— Ça justifie pas de la tuer, contra Shen Siwei
— Elle a résisté.
— Si courir peut vraiment être qualifié de résistance...
— Perds pas ton temps en bavardages, ordonna Moran, fronçant les sourcils. La mission n'est pas finie. Va la chercher.
Les souvenirs se coupaient net.
Shen Siwei fixait son verre, l'air sombre. Il comprenait enfin d'où venaient ses soupçons.
Moran n'avait jamais été son amant.
Pire encore, il semblait avoir tout manigancé pour le soumettre. Il avait même inventé cette histoire de relation.
Son esprit était en vrac, il ne savait toujours pas quel était le vrai but de la mission, ni comment elle s'était terminée.
Pour l'instant, il mit de côté ses pensées pour se concentrer sur ses intuitions.
Il comprenait maintenant que Moran ne voulait surtout pas qu'il retrouve ses souvenirs, parce que s'il se souvenait, il risquait de se rebeller. Et qu'à chaque fois qu'un souvenir refaisait surface, il le contactait immédiatement, surveillant son activité cérébrale en continu.
La dernière fois qu'il s'était mystérieusement endormi, c'était sans doute aussi l'œuvre de Moran. S'il n'était pas dans un bar en ce moment, il aurait probablement déjà sombré à nouveau.
À vrai dire, il n'était pas surpris.
Son téléphone vibra encore.
[Moran : Bien reçu.]
Shen Siwei fixa l'écran d'un œil vide et tapa simplement :
[Reçu.]
Moran frappa violemment la console, réveillant le docteur Chen qui somnolait.
Celui-ci réajusta ses lunettes et regarda l'homme visiblement furieux.
— Qu'est-ce qu'il se passe ?
— Ça fait longtemps que je dis qu'il faut lui implanter un œil mécanique. On pourrait le surveiller en direct.
— Au Capitaine Shen ? Mais on lui a déjà mis une puce de sommeil, et ça surcharge son cerveau.
Le docteur Chen jeta un œil à la console.
— Son activité cérébrale est normale.
— Y'a eu une grosse fluctuation, là.
— Pas d'inquiétude, Colonel. Je vous garantis qu'il ne nous échappera pas.
Pour éviter tout soupçon chez Moran, Shen Siwei cessa de forcer sa mémoire, même s'il brûlait d'envie de comprendre.
Le bar se remplissait peu à peu, preuve que les troubles dehors étaient calmés. Il voulut aborder d'autres clients, mais c'est à ce moment qu'il croisa soudain le regard de Klet, qui se figea net. Il détourna rapidement la tête, remit son masque sous son cache-visage, puis quitta le comptoir.
À l'expression du jeune homme, aucun doute, il avait remarqué quelque chose.
Shen Siwei, encore engourdi par sa récente surcharge cérébrale, n'avait aucune envie de jouer au chat et à la souris, il fit le tour et se dirigea vers la sortie arrière du bar. Mais à peine dehors, deux réfugiés lui barrèrent la route.
— T'as du feu ? demanda l'un, lui bloquant le passage.
— Non. répondit Shen Siwei, baissant la tête et tentant de partir dans l'autre direction.
L'autre lui coupa la route.
— Si t'en as pas, tu peux au moins être poli.
Le soldat fronça les sourcils, releva lentement la tête.
— Et je devrais parler comment, alors ?
— En regardant les gens quand tu leur parles.
Il n'avait pas de temps à perdre, il reprit donc sa marche sans leur prêter attention, mais les deux hommes revinrent à la charge.
— Qui t'a autorisé à partir ?
Il inspira profondément et murmura :
— Dégagez.
— Tss, il devient de plus en plus malpoli.
Ils échangèrent un regard, révélant enfin leurs véritables intentions, sortant leurs armes qu'ils pointèrent sur lui.
— Active ton système de paiement.
Un braquage, donc.
Shen Siwei ne bougea pas, sa voix restant basse.
— Je le répète une dernière fois, dégagez.
Une lueur rouge sang traversa son regard, puis un hurlement déchira la nuit.
Le premier se retrouva avec le poignet tordu, puis brisé d'un coup sec, os à vif, transperçant la chair. Le second tira, mais Shen Siwei l'esquiva sans effort, fonça sur lui et lui brisa la nuque en deux pas.
— T'es qui, bordel ?!
Le premier, au sol, la main déformée, reculait en tremblant.
— M'approche pas !
"Trop bruyant."
Shen Siwei lui décocha un coup de pied dans la mâchoire.
"Enfin, le silence."
Plus rien ne l'arrêtant, il quitta rapidement l'allée. Alors qu'il tournait au coin de la rue, la porte arrière du bar s'ouvrit à nouveau, deux silhouettes en sortant.
— Qu'est-ce que c'est que ce bordel ? s'exclama Maiken en découvrant les corps.
Il jura de stupeur.
L'un n'avait qu'un lambeau de peau accroché au cou. L'autre avait le crâne écrasé, les yeux explosés.
— C'est à mains nues, ça.
Il s'accroupit près du corps décapité, examinant les empreintes à peine visibles.
— Le gars est costaud. Tu penses pouvoir tordre une tête comme ça ?
— Jamais essayé, répondit Klet en baissant les yeux vers les cadavres. Mais ça doit être faisable.
— Laisse tomber, je veux pas savoir.
Maiken se redressa.
— Tu crois que c'est celui que tu cherches ?
— Non.
Klet fronça les sourcils.
— Mais il lui ressemble.
— Tu m'as dit qu'il vient de l'armée, ajouta Maiken. Si c'est bien lui...
Le brun conclut :
— Alors c'est forcément un compagnon du négociateur.
Je crois que les braqueurs ont un peu payé pour toutes les fois où Siwei a dû se retenir de tuer quelqu'un *tousse* Klet

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