Top Edge : Chapitre 29 - Shen Siwei, son héros
Il était trois heures de l'après-midi, et le soleil frappait juste comme il fallait sur la zone ouest.
À l'intérieur de la vaste usine, le bruit de la chaîne de montage résonnait tandis que des machines de transport sans pilote circulaient entre les bâtiments, charriant des cargaisons.
Dans un grand espace dégagé, hors de portée des machines, plusieurs voitures de course modifiées étaient rassemblées en périphérie, et deux hommes discutaient au centre de l'esplanade. L'un portait un t-shirt noir moulant à manches courtes, son visage beau et résolu n'était autre que celui du criminel numéro un sur la liste des personnes les plus recherchées par l'armée.
L'autre arborait une casquette de baseball vert militaire, son visage restait difficile à distinguer, mais lui aussi figurait sur la liste de l'armée, tout juste inscrit au deuxième rang.
Pour être précis, c'était il y a dix minutes à peine.
Les réticules s'étaient fixés sur les deux hommes à l'écran, et l'opérateur coiffé d'un écouteur appuya son pouce sur le bouton de tir.
— Cible verrouillée. Demande permission d'ouvrir le feu.
Une réponse résonna aussitôt dans son oreillette :
— Permission accordée.
La seconde suivante, un petit missile jaillit de sous le drone de combat et fendit l'air en direction des deux hommes au centre du terrain.
— Comment comptes-tu t'assurer que la station ne soit plus aux mains du haut-commandement ?
— Il suffit de s'en emparer, pour le reste...
Au milieu de leur échange, un bruit déchira soudain le ciel. Comme la zone industrielle était presque déserte et que l'usine n'était pas particulièrement bruyante, ce son strident en devenait d'autant plus inquiétant.
Les deux hommes levèrent aussitôt les yeux et virent un missile foncer droit vers le sol. L'explosion était prévue dans moins de deux secondes.
Sans la moindre hésitation, Klet se projeta hors du centre de l'esplanade.
Leizhe jura entre ses dents, enfila à son tour un masque et se précipita vers la périphérie. Mais avant d'avoir pu s'éloigner, le missile explosa derrière lui, et l'onde de choc le projeta brutalement contre le mur extérieur de l'usine.
Heureusement, il n'avait pas été frappé directement par le projectile et parvint à encaisser l'impact. Il redescendit du mur, secoua la tête pour chasser le bourdonnement dans ses oreilles et cria à Klet, qui s'était élancé de l'autre côté de l'esplanade :
— C'est toi, la cible ?
Le jeune homme ayant esquivé à temps, n'avait pas été touché par le missile. Il s'apprêtait à répondre « non », quand il aperçut le drone déployer deux canons de chaque côté et tirer dans sa direction.
Donc c'était bien lui qu'on visait ?
Il ne put s'empêcher de ressentir une pointe de perplexité.
Comment l'armée savait-elle où il se trouvait ?
De son côté, Leizhe avait déjà saisi une mitrailleuse fixée sur l'une des voitures modifiées et hurla à Klet :
— Attire-le par ici !
Le drone volait assez bas pour être abattu avec une mitrailleuse. Mais à peine Leizhe eut-il terminé sa phrase que l'appareil changea brusquement de trajectoire et ouvrit le feu sur le convoi. Une dizaine d'hommes durent aussitôt quitter la voiture et se plaquer contre le mur extérieur de l'usine, hors du champ de vision de la caméra du drone.
Klet, qui n'était plus directement pris pour cible, fit volte-face et se lança à la poursuite de l'appareil, tirant dessus au pistolet. Au fil de sa course, il finit par remarquer que la cible du drone était limpide :
Leizhe.
En d'autres termes, la mission du drone consistait à les éliminer tous les deux, et l'opérateur, constatant qu'il était difficile de traquer Klet, avait choisi de se concentrer sur sa seconde cible.
Mais comment l'armée savait-elle que tous deux se retrouveraient ici ?
Après avoir écarté toutes les autres possibilités, le visage de Klet s'assombrit. Une seule image lui vint en tête, celle d'une silhouette aux cheveux dorés.
Le drone tira un nouveau missile qui s'écrasa sur l'ossature d'acier sous la tour de refroidissement. L'énorme structure s'effondra, s'écrasant sur le toit de l'usine. Leizhe, qui s'abritait contre le mur, dut déguerpir pour trouver une autre couverture.
Klet évita les tirs de l'aéronef en zigzaguant dans l'esplanade, avant de le rejoindre derrière l'acier effondré. Il n'avait déjà plus de balles et sortit son dernier poignard.
— Attire-le par ici, je sauterai de la tour de refroidissement, dit-il.
Leizhe comprit aussitôt son intention.
— Tu t'es fait poser une prothèse mécanique ?
Klet ne s'attarda pas.
— Ouais.
— D'accord, répondit Leizhe. Tu veux une arme ?
— Pas besoin.
Il fit tourner le poignard dans sa main et s'apprêta à grimper sur la carcasse métallique. Mais soudain, le leader des Rossignols lui attrapa le poignet et fixa l'arme.
— Comment tu as eu ce poignard ?
Klet interrompit son mouvement, jeta un œil à l'arme et répondit :
— C'est un ami qui me l'a donné.
— Un ami ? répéta Leizhe, visiblement troublé. Ce poignard appartenait à mon capitaine.
À ces mots, les nerfs de Klet se crispèrent d'un coup. Son cœur s'emballa comme une locomotive lancée à pleine vitesse, plus fort encore que lorsqu'il avait affronté la meute du désert.
Ses lèvres remuèrent :
— Ton capitaine ?
—
J'ai fait partie de l'équipe d'assaut de l'armée. Pour certaines
raisons, j'ai fini par rejoindre les Rossignols, expliqua Leizhe. Le
numéro gravé sur ce poignard, 888714, c'est celui de mon capitaine.
Sur la garde du poignard argenté et noir était gravée une courte suite de chiffres, imperceptible à moins d'y regarder de très près.
Les balles du drone martelaient la structure d'acier dans un crépitement sec. Leizhe baissa instinctivement la tête, mais Klet ne broncha pas. Il agrippa son épaule et le fixa, les yeux brûlants :
— Où est-il ?
Leizhe eut un instant d'hésitation, puis soupira.
— Il est mort.
À ces mots, les yeux de Klet s'écarquillèrent. Une masse invisible s'abattit sur sa poitrine, écrasant son souffle, comme un marteau s'abattant en plein cœur.
Leizhe poursuivit :
—
Il y a vingt ans, nous étions en mission pour traquer les nouveau-nés.
La situation était compliquée, et il s'est sacrifié pour me protéger
quand on a été attaqués.
— Vingt ans... ? répéta Klet, hébété.
— Oui.
Celui qui avait traversé l'enfer à ses côtés dans les ténèbres, qui lui avait dit de ne pas revenir avant d'avoir grandi, était mort peu après leur séparation.
Il avait tenu toutes ces années, s'était forgé, endurci, juste pour grandir et revenir retrouver cet homme — et pourtant, il était mort vingt ans plus tôt.
Tout à coup, son corps parut vidé de sa force. Klet dut s'appuyer contre l'ossature métallique pour ne pas chanceler.
— Hé, ça va ? remarqua Leizhe en observant son trouble. Comment tu as eu le poignard de mon capitaine ?
Klet ouvrit la bouche mais sa gorge sèche ne laissa sortir aucun son.
Il fit un effort, une dernière fois, pour poser la seule question qui comptait vraiment :
— Comment... il s'appelait ?
— Shen Siwei.
Des balles sifflèrent de nouveau, l'une passant si près qu'elle érafla le visage de Leizhe. Il jura entre ses dents et comprit qu'il ne pouvait pas compter sur Klet. Alors il activa son communicateur
— Levez le canon et descendez-le ! ordonna-t-il à ses hommes.
Derrière eux, le vacarme des tirs s'intensifia, soulevant poussière et gravats. Pourtant, Klet avait l'impression de se retrouver dans un autre monde, assis seul sous la carcasse d'acier, le regard perdu sur le poignard.
Shen Siwei.
Ses lèvres articulèrent le nom sans un son.
Ce poignard, il l'avait gardé vingt ans. Chaque fois qu'il avait été au bord de l'abandon, les mots de cet homme revenaient lui brûler la mémoire. Il s'était accoutumé à la solitude, avait appris à se maintenir debout par sa propre force, mais le héros qu'il portait en lui, celui qui l'avait protégé, n'était plus là.
Au bout d'un moment, les tirs sur la plaine s'éteignirent enfin.
Leizhe revint vers la charpente d'acier, une carabine à grande vitesse à la main, et trouva Klet assis par terre, adossé à la structure, en train de fumer.
S'il n'avait pas été témoin de ce qui venait de se passer, il aurait pensé que le jeune homme s'était déplacé dans la zone industrielle uniquement pour admirer le coucher de soleil.
Ils n'était pas assez proches pour aborder des sujets personnels, et ce n'était clairement pas le moment.
— L'armée va peut-être envoyer quelqu'un, rappela Leizhe. On en reparlera.
⸻
Sans instructions de Moran malgré une longue attente, Shen Siwei erra sans but dans la ville avant de finir par regagner la maison de Klet, songeant que ce dernier devait être avec les Rossignols.
Et en effet, la maison était vide.
Il prit tranquillement un bain, enfila des vêtements propres, puis alluma distraitement la télé, reprenant l'épisode inachevé de Bob l'éponge.
Il fallait bien reconnaître que se détendre devant un dessin animé avait son charme.
Alors qu'il commençait à se prendre au jeu, l'appel de Moran brisa tout :
— Évacue immédiatement, dit la voix calme de son supérieur. L'armée lancera une attaque dans une heure.
Shen Siwei s'attendait à ce qu'il lui demande de revenir, mais pas à ce que l'armée prépare une offensive.
Moran expliqua :
— Nous venons de frapper la zone industrielle, mais impossible d'éliminer Klet et le chef des Rossignols.
Avant qu'il puisse poursuivre, Shen Siwei l'interrompit :
— Une attaque éclair ??
—
Je surveillais l'organisation des Rossignols et je suis tombé par
hasard sur leur rencontre avec Klet, répondit Moran. Une bande de
criminels réunis au même endroit, tu penses qu'on allait laisser passer
une si belle occasion ?
La logique de son supérieur était implacable, et Shen Siwei n'avait rien à répliquer. Il inspira profondément, réprimant son anxiété et demanda :
— Mais pourquoi bombarder toute la ville ?
—
Nous avons déjà enquêté sur la centrale électrique, et quiconque est au
courant ne peut être laissé en vie, répondit Moran après une pause.
Surtout Klet.
— Mais nous ne savons pas encore comment il a réparé la
centrale des abysses, dit Shen Siwei, malgré lui, en prenant la défense
du jeune leader.
— Maintenant que nous savons que le problème vient
des abysses, à quoi bon le garder en vie ? rétorqua Moran. L'armée
mènera l'enquête dans les abysses.
— Mais il y a encore des civils dans cette ville, lança froidement Shen Siwei.
— Tu ne peux pas garantir qu'aucun n'est au courant pour la centrale sous-marine.
— Donc tu es prêt à sacrifier des innocents ?!
Encore une fois. Comme vingt ans plus tôt.
La mission de l'escouade n'était que de traquer les nouveau-nés, mais Moran n'avait pas hésité à tuer Sara.
— Les vies civiles n'ont aucune valeur pour toi ?
—
Shen Siwei, dit Moran en abaissant la voix, comprends ta position.
Sais-tu quel impact cela aurait sur l'Arbre de Vie si l'existence de la
centrale abyssale venait à être révélée ?
Si le niveau supérieur et la centrale des grands fonds fonctionnaient normalement, tandis que les Margs continuaient à régner sur les niveaux inférieurs sous prétexte d'économiser l'énergie, les civils finiraient par se soulever.
Shen Siwei refusait de voir éclater le chaos dans l'Arbre de Vie. Parce que c'était sa mère qui, à l'origine, avait accepté la mission confiée par les ancêtres Marg et dirigé sa conception.
Dès son plus jeune âge, il avait volontairement rejoint l'armée, non pas pour sa propre gloire, mais pour protéger l'œuvre de sa mère.
Et à présent, ses valeurs étaient mises à l'épreuve.
La construction de l'Arbre de Vie devait offrir un meilleur environnement à l'humanité.
Si cela exigeait de sacrifier des civils, à quoi bon le protéger ?
En se remémorant le couple de civils croisé dans le couloir, Shen Siwei prit rapidement sa décision.
La dernière fois, il n'avait pas réussi à empêcher la traque des nouveau-nés. Mais cette fois, il avait encore une chance.
— Compris, dit-il d'un ton impassible. Je pars.
Après avoir coupé la communication, il composa l'identifiant de communication de Klet.
La tonalité longue l'agaçait de plus en plus, mais elle se prolongea un moment, sans que personne ne décroche.
Il rappela. Cette fois, l'autre rejeta carrément l'appel.
— Qu'est-ce que...
Shen Siwei comprit soudain que Klet devait croire qu'il l'avait trahi, en divulguant des informations sur l'embuscade à Moran.
Avec tout ce qui s'était passé, il était logique qu'il refuse de lui répondre.
Mais ce n'était pas le moment de se montrer entêté.
Shen Siwei rappela encore, patiemment. Enfin, Klet décrocha, sa voix rauque chargée d'impatience :
— Quoi encore ?
— L'armée va lancer une attaque, dit Shen Siwei. Rentre vite !
Le chapitre 31 sera le dernier de la première partie. J'ai posté sur Instagram (le premier post épinglé) le programme pour la suite des traductions.
Le chapitre 30 est pour dimanche si mon passage en hôpital de jour, tout à l'heure, se passe bien.
Vous pouvez me retrouver sur : Instagram - TikTok - Twitter et Wattpad

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