Top Edge : Chapitre 31 - Fleur en cage
Shen Siwei rêva de la nuit pluvieuse d'il y a vingt ans.
Après s'être séparé du petit garçon, il était retourné sur le champ de bataille et avait retrouvé Leizhe.
— Capitaine, la cible est morte, je répète, la cible est morte, grésilla la radio.
Shen Siwei entraîna Leizhe pour se cacher dans un immeuble résidentiel et profita de l'occasion pour faire son rapport à Moran.
— Et le corps ? demanda son supérieur.
Derrière sa voix, des rafales nourries résonnaient dans l'oreillette, preuve que la situation n'était pas meilleure de son côté.
— Il est tombé dans la rivière et a été emporté, répondit Shen Siwei.
— Tu es sûr que la cible est morte ?
— C'est moi qui l'ai abattu.
Moran ne répondit pas immédiatement, semblant hésiter à vérifier l'information. Mais les voix pressantes des membres de l'escouade, réclamant la retraite, se firent entendre, et il finit par ordonner au groupe de se regrouper.
Shen Siwei et Leizhe se préparèrent à quitter l'immeuble, mais à peine eurent-ils franchi la porte qu'ils tombèrent sur une petite escouade de Faucons Noirs.
Ils furent acculés jusqu'au toit, et il demanda à Leizhe de sauter sur l'immeuble d'en face. C'est à ce moment-là qu'une bombe tomba à ses pieds.
Bang !
Shen Siwei se réveilla en sursaut et leva les yeux vers le plafond blanc familier.
Il reprit lentement ses esprits, et ses nerfs, un instant détendus, se retendirent aussitôt. Par réflexe, il voulut se redresser, mais ses mains étaient retenues sur la table d'opération et il n'avait pas son masque à oxygène.
— Tu es réveillé.
Moran, vêtu de son uniforme militaire noir, se tenait à côté de la table, les mains croisées derrière le dos, l'observant avec calme.
— Bien dormi ? demanda-t-il, avec une pointe de sarcasme.
Le regard glacé, Shen Siwei balaya les alentours et comprit qu'il était de retour au laboratoire.
Derrière le pupitre de contrôle, le terminal servant à piloter la puce implantée dans son cerveau, se tenait le docteur Chen.
— Ne fais pas de folies, dit Moran, remarquant son regard. Tu n'irais pas bien loin.
Il avait raison. Sans masque à oxygène, il n'avait même pas la force d'arracher l'anneau métallique qui emprisonnait son poignet.
Il choisit donc de relâcher ses muscles et leva les yeux vers le colonel :
— Tu n'as pas peur que le bombardement soit révélé ?
Son supérieur caressa son menton et laissa échapper un petit rire :
— Tu crois vraiment que c'était ma décision ?
Shen Siwei comprit le sous-entendu et fronça les sourcils, silencieux.
— Cet ordre vient d'en haut, poursuivit Moran en désignant le plafond.
Le laboratoire se situait au troisième niveau de l'Arbre de Vie. Par "en haut", il ne pouvait parler que des Margs.
Pour appuyer ses propos, Moran ouvrit la page d'actualités sur un mini-ordinateur. L'écran montrait une ville criblée de trous, avec l'hôtel où il avait été attaqué par les Rossignols réduit à l'état de ruines.
Le district ouest envahi par des monstres difformes, l'armée riposte sans relâche.
En dessous, on voyait des images de meutes de loups du désert parcourant les rues de Z City, mais l'article ne mentionnait à aucun moment les réfugiés qui avaient combattu ces loups.
Les commentaires débordaient de gratitude envers l'armée.
Shen Siwei ne fut pas surpris que les militaires s'approprient le mérite de l'expulsion de la meute. Ce qui l'inquiétait, c'était la possibilité qu'ils aient bombardé la ville entière.
Il se souvenait parfaitement que lorsqu'on l'avait emmené, seule la zone à la jonction entre la ville et la zone industrielle avait été bombardée. Mais à présent, d'après les nouvelles, toute la cité n'était plus qu'une terre calcinée.
— Tout est la faute de Klet, dit Moran, feignant le regret. S'il avait péri dans le bombardement, je n'aurais pas eu besoin d'envoyer autant de chasseurs.
Les sourcils de Shen Siwei se froncèrent, et son cœur s'alourdit.
— Tu sembles très inquiet pour lui, remarqua Moran, qui avait noté sa tension, un sourire aux lèvres. Je peux t'annoncer une bonne nouvelle, nous n'avons pas retrouvé son corps.
C'était bon signe...
Klet devait être encore en vie...
Shen Siwei baissa les yeux, incapable d'empêcher ses pensées de vagabonder vers le passé.
C'était la deuxième fois que Moran traquait Klet, et il était aussi l'assassin de sa mère.
S'il en avait l'occasion...
Un désir meurtrier couva dans l'ombre de son esprit. Mais il baissa le regard sur ses poignets entravés, contraint de refouler cette idée.
— Mais je suis curieux, poursuivit Moran. Qu'est-ce qui t'a poussé à choisir le camp de Klet ? A-t-il donc une personnalité si séduisante ?
D'un point de vue extérieur, tout pouvait effectivement faire penser qu'il avait simplement succombé au charme de Klet et rien d'autre. Mais cela n'avait rien à voir.
Moran était le seul responsable de son changement de camp.
Si le meurtre de Sara, vingt ans plus tôt, avait été l'étincelle faisant vaciller ses convictions, alors le bombardement de civils par l'armée, vingt ans plus tard, était l'explosion réduisant ces mêmes convictions en cendres.
Bien entendu, Shen Siwei n'allait pas détailler tout cela devant Moran. Il se contenta de dire :
— Parce que tu es répugnant.
Le colonel s'assombrit, puis il se reprit avec un sourire railleur :
— Tu parles de sentiments...
Il s'approcha, les mains posées sur le rebord de la table d'opération, scrutant Shen Siwei de très près.
— Honnêtement, tu n'es pas mon type. Tout ce que je lis dans ton regard, c'est de la rébellion. Et je déteste les obstinés.
Shen Siwei détourna la tête pour éviter que l'haleine de Moran ne lui donne la nausée.
— Mais, ajouta ce dernier en se redressant pour aller au panneau de contrôle, j'aime les jeux de rôles. C'est mon petit passe-temps.
Il tourna un bouton du tableau et demanda au docteur Chen, resté près de lui :
— Cette couleur de cheveux, qu'en dites-vous ?
Le scientifique réajusta ses lunettes et répondit :
— Les traits du capitaine sont suffisamment marqués, n'importe quelle couleur lui irait.
— Exact, approuva Moran avec un sourire. J'aime bien ce jouet.
Shen Siwei détestait cette sensation d'être manipulé. Il ferma les yeux, inspira profondément, refoula le désir meurtrier qui bouillonnait en lui et demanda d'une voix glaciale :
— Alors, tu comptes me garder enfermé comme jouet pour toujours ?
— J'aimerais bien, répondit Moran, mais tu appartiens à l'armée. Et puis, je n'aime pas ton regard.
Ce qui signifiait qu'il avait un moyen de faire disparaître ce regard. Allait-il effacer sa mémoire une fois de plus ?
— En réalité, poursuivit Moran, au fil des années nous avons travaillé sur beaucoup de soldats, et tu es le seul à avoir survécu. Tu restes un produit incomplet. Ta mémoire n'a pas été totalement effacée, et ta fonction cardio-pulmonaire n'a pas été restaurée. Sans la situation d'urgence dans le district ouest, je ne t'aurais pas réveillé si tôt.
Quand ses souvenirs lui étaient revenus, Shen Siwei avait pensé que Moran l'avait laissé avec un cœur et des poumons aussi fragiles pour mieux le garder sous contrôle. Mais il comprenait à présent que ce n'était qu'un échec de la transformation militaire.
— Tu n'as pas peur que je me venge un jour ? lança-t-il froidement.
Il avait insisté sur le un jour, conscient qu'à cet instant, il n'avait aucune possibilité de résister.
— Tu ne peux pas lutter contre moi, dit Moran en revenant vers la table d'opération.
Il tira un poignard de son étui et ajouta :
— Sais-tu à quel point ta peau est résistante ?
Il entama l'avant-bras de Shen Siwei. La pointe acérée traça un profond sillon, mais la peau resta intacte, lisse comme si rien ne l'avait touchée.
— Tu comprends ce que cela signifie ? demanda Moran en rengainant la lame, son ton traînant laissant transparaître une ironie cruelle.
Shen Siwei fronça les sourcils, n'arrivant pas à établir le lien entre cette démonstration et la menace de vengeance.
— Quoi ?
—
Je vais t'aider, dit Moran avec lenteur. Un implant de contrôle est
logé dans ton cerveau. Il manipule le matériau polymère de ta peau, ce
qui permet de modifier ta carnation, ta couleur de cheveux, celle de tes
yeux. Mais surtout... il peut t'endormir instantanément. Si tu fais le
moindre geste dangereux, tu t'effondres sur-le-champ.
Moran marqua une pause avant de conclure :
— Et détail important, la puce a été implantée avant la fin de ta modification cutanée.
Le visage de Shen Siwei se durcit.
— Tu veux dire que ma peau ne peut pas être incisée, donc que la puce ne pourra jamais être retirée.
— Exact, dit Moran tout sourire, tu n'es pas si idiot que ça, finalement.
Les yeux de Shen Siwei s'assombrirent. Une frustration sourde le rongeait.
Il sera à jamais sous le joug de Moran, tel un oiseau enfermé dans une cage, incapable de s'envoler.
Il voulait encore revoir Klet, lui parler une fois de plus, mais cela semblait désormais impossible.
—
Docteur Chen, lança Moran en claquant des doigts vers l'homme resté
derrière la console de contrôle, n'avez-vous pas affirmé que la
technologie avait progressé récemment ? On peut lui effacer ses
souvenirs maintenant ?
— Eh bien, Colonel... répondit le docteur d'un ton hésitant, esquissant un geste pour proposer une discussion privée.
Moran ne bougea pas, son impatience transparaissant.
— Dites-le tout de suite.
Il ne se souciait pas que Shen Siwei entende ; tôt ou tard, celui-ci serait replongé dans un sommeil artificiel, et ce qu'il savait n'aurait plus d'importance.
— Avec la technologie actuelle, reprit le docteur avec difficulté, nous ne pouvons toujours pas effacer totalement la mémoire.
Moran fronça les sourcils.
— Alors, quels sont les progrès exactement ?
—
Nous avons bien avancé, admit le scientifique, mais seulement dans le
sens où il lui sera plus difficile de récupérer des souvenirs oubliés.
Déjà, le capitaine Shen a énormément souffert en résistant à la puce de
contrôle. Si nous effacions tout d'un coup, cela risquerait d'entraîner
des lésions cérébrales irréversibles.
— Inacceptable, trancha Moran. Les supérieurs n'ont pas investi autant de fonds et de temps pour fabriquer un idiot.
Le docteur réajusta ses lunettes.
— Le mieux serait d'y aller par étapes. Le capitaine Shen est pour l'instant notre seul prototype viable. Un simple faux pas réduirait à néant toutes nos recherches. La mémoire et la fonction cardio-pulmonaire sont internes, elles ne se réparent pas comme la peau ou les muscles. La moindre erreur mettrait sa vie en jeu.
Moran caressa son menton, pensif.
— Que proposez-vous, alors ?
— Reprendre la cryopréservation, répondit le scientifique. Nous avons du temps devant nous.
Moran réfléchit un instant, puis acquiesça.
— Très bien. Faisons comme ça.
Shen Siwei regarda impuissant Moran appuyer sur la commande du sommeil. Ses poignets restaient prisonniers, incapables de se libérer.
La torpeur familière l'envahit de nouveau. Les images se brouillèrent peu à peu.
Juste avant de sombrer, il ne resta qu'un seul nom dans son esprit.
Klet.
Et voilà la fin de la première partie de Top Edge.
Promis on va entrer dans la partie romance après.
Je vais faire une pause pour préparer correctement le planning des chapitres suivants. (Pas plus d'une semaine je vais essayer) Et ensuite on aura comme prévu sur insta, 3 chapitres par semaine, avec des jours fixes.
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Merci beaucoup pour ses nouveaux chapitres ! Hâte de commencer la partie 2 et voir comment vont se dérouler les retrouvailles....je suis aussi frustrée par cette fin, je déteste vraiment ce Moran 😤
RépondreSupprimerJe t'en prie. Merci pour ton commentaire ! 🫶 J'ai super hâte de partager la seconde partie et je suis trop impatiente pour les retrouvailles ! 😍
SupprimerEffectivement, ce Moran ci est détestable !! 🤬