Top Edge : Chapitre 34 - Désert de glace

 

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Après avoir fixé quatre barils de fer vides de chaque côté de la moto tout-terrain et vérifié l’autonomie restante de la batterie, Klet enfourcha l’engin d’un geste souple, ses longues jambes trouvant aussitôt leur place. Malken, lui, s’installa sans hésiter derrière lui — une place qui, normalement, devait rester vide.

— Je viens aussi, déclara-t-il en s’agrippant de toutes ses forces à l’arrière, de peur que le jeune homme ne le fasse descendre.
— Tu vas me bouffer la batterie, grommela Klet en inclinant le menton pour le regarder par-dessus son épaule.

Plus la charge était lourde, plus la consommation augmentait, c’était une évidence.

— Peut-être, osa rétorquer Malken sans la moindre gêne, que tu pourrais rapporter un peu moins de glace.

La ville souterraine manquait cruellement d’eau : il fallait l’acheminer depuis les champs du nord sous forme de glace. Quatre barils pleins assuraient à Klet un mois d’approvisionnement, et il n’avait aucune intention de modifier ses plans. Mais Malken, entêté comme un rocher, refusait de lâcher prise. Lassé de discuter, le conducteur finit par lancer la moto dans un grondement sourd.

En pleine journée, malgré la chaleur écrasante, les monstres se faisaient plus rares. Klet filait droit, suivant l’itinéraire sûr qu’il connaissait par cœur. Trois heures plus tard, les premiers éclats de glace affleurèrent dans le sol, et l’air se fit plus vif, presque mordant. Ils venaient d’atteindre les champs de glace.

Le vent glacial s’engouffrait partout, arrachant des frissons à Malken. Il resserra sa veste de cuir contre lui et claqua des dents :

— Patron, t’as pas froid ?

Comme lui, Klet ne portait qu’une veste anti-UV, parfaitement inutile contre le froid.

— Non, répondit-il d’un ton distrait, en appuyant un peu plus sur l’accélérateur.

Une rafale encore plus cinglante le fit jurer à voix basse.

Une demi-heure plus tard, ils atteignirent enfin un point de repos.

C’était une cabane de bois étroite, construite jadis par des aventuriers de passage. Le climat des champs de glace était d’une rudesse extrême, mais au moins ces terres n’étaient pas infestées de créatures difformes. Pour les amateurs d’expéditions, traverser les champs de glace restait l’itinéraire idéal.

Leur abri se trouvait à la lisière, tout près du désert occidental.

Après avoir garé la moto, Klet prit une pelle et passa plus de dix minutes à remplir patiemment les barils. Pendant ce temps, Malken avait déjà enlevé ses vêtements et plongeait, ravi, dans une source chaude qu’on trouvait fréquemment sous ces terres gelées.

— Patron ! Laisse tomber ta pelle et viens plutôt tremper !

Personne ne venait jusqu’ici sans profiter des sources chaudes.

Klet remit les quatre barils en place sur la moto, se déshabilla à son tour et entra dans l’eau fumante.

— Tu ne vas vraiment pas m’aider ? protesta Malken.
— Hm, fit Klet en posant la tête contre le rebord et en fermant paresseusement les yeux.
— Mais les Rossignols ont vraiment besoin de toi. Toi seul peux mener cette mission à bien.
— Silence, trancha Klet.
— Et si tu refuses, je dis quoi à Leizhe, moi ?

Toujours aucune réaction.

— C’est quelqu’un de bien, insista Malken. Il prend soin de ses frères, il se charge de tout sans jamais se vanter. Tu verras, quand tu le rencontreras… il mérite qu’on l’aide.

Il n’arrivait presque jamais à faire autant l’éloge de quelqu’un.

Klet finit par relever la tête, un sourcil arqué.

— Tu l’aimes bien ?

Malken ne nia pas :

— Tout le monde chez les Rossignols l’admire.
— Non, reprit Klet sans détour, tu sais que ce n’est pas ce que je veux dire.

L’autre comprit aussitôt le sous-entendu et se défendit vivement :

— J’ai aucune arrière-pensée ! Ne va pas salir notre pure amitié !

Klet eut un petit rire et ne répondit plus.

Pour une raison obscure, Malken se sentit vaguement coupable. Il ajouta vite :

— J’admire aussi le Négociateur. S’il ne nous avait pas prévenus du bombardement… qui sait ce qui se serait passé.

Le sourire de Klet s’évanouit net.

Comprenant qu’il avait franchi une limite, Malken se gratta maladroitement le nez et marmonna :

— J’espère qu’il va bien…

Quand Shen Siwei arriva à la station centrale, tout en bas de l’Arbre de Vie, il constata qu’une foule de civils s’était massée dans le hall.

Presque tous avaient le cou tendu vers l’extérieur.

Shen Siwei suivit leur regard : devant les portes vitrées, un cordon de policiers tentait de maintenir l’ordre.

— Les Rossignols encore… Quand est-ce que ça finira ?
— Sans les Margs, il n’y aurait pas d’Arbre de Vie. Comment peuvent-ils ne pas leur être reconnaissants ?

Depuis son réveil, ces derniers jours, Shen Siwei avait pris le temps de rattraper la situation actuelle de l’Arbre de Vie.

Cinq ans plus tôt, après le sacrifice de nombreux civils pour repousser les monstres difformes, la « Déclaration de Refus de Reproduction » avait été suspendue, et les naissances de nouveau autorisées.

Quant aux Rossignols, ils se proclamaient défenseurs de la paix, mais au fond, leur organisation ne différait guère des anciens terroristes du Faucon Noir.

Shen Siwei comprit que la foule du hall n’était là que par crainte : les Rossignols manifestaient à l’extérieur, la police les contenait, et personne ne voulait se retrouver pris au milieu.

— Toujours à semer le trouble…
— Je me demande combien de temps ça peut durer.

Tout en parlant, deux civils remarquèrent la présence de Shen Siwei. L’un recula d’un pas, l’autre suivit aussitôt, s’écartant de lui avec prudence.

Le capitaine n’avait pourtant rien de menaçant dans ses traits. Ses cheveux châtain clair étaient assez communs et donnaient presque une impression amicale, mais ses yeux vert sombre avaient quelque chose de glaçant. Ajoutés à sa veste de pilote et son sac militaire, il ne ressemblait en rien aux simples civils.

Il traversa la foule et sortit dans la rue. L’ordre avait déjà été rétabli, et les Rossignols s’étaient volatilisés. Il avait pensé qu’en cas de débordement, il pourrait intervenir, mais ce n’était pas nécessaire.

Sortant sa carte d’accès, Shen Siwei se dirigea vers le parking, où l’attendait une moto lourde, spécialement conçue pour affronter tous les terrains.

À deux cents mètres de là, dans une ruelle, Leizhe retira son masque d’une main et tapota la tête de Knock de l’autre :

— Je t’ai répété combien de fois ? Pas d’impulsivité, pas d’affrontement avec la police ! Aujourd’hui, c’était une manifestation pacifique, bordel !
— J’étais de mauvaise humeur, grommela Knock en se décalant. Ces flics me cherchaient.
— Encore cette excuse ? Et qui a demandé à ton frère de partir en mission ? s’exclama Leizhe, au bord de l’explosion. C’est Avis qui a insisté, tu voulais que je fasse quoi ? Vous êtes ingérables, tous autant que vous êtes !

Cinq ans avaient passé, et le jeune Knock était devenu l’un des piliers des Rossignols. Mais il restait trop vert, toujours à provoquer des migraines à leur chef. Malheureusement, la seule personne capable de le calmer, Avis, n’était plus là. Et Leizhe devait se débrouiller seul avec cette tête brûlée.

— Tu aurais dû l’empêcher, marmonna Knock.

Leizhe ne répondit même pas. Il se détourna et s’éloigna, sans remarquer la silhouette aux cheveux châtain foncé qui passait en moto au bout de la rue.

Après avoir quitté la zone urbaine animée, Shen Siwei passa sa moto en mode vol et s’élança à ras du sol vers l’ouest.

Le signal du localisateur d’Amor finit par se figer dans un hôtel en libre-service du quartier Z, dans la ville occidentale. Si Adolf disait vrai, Amor avait volontairement brouillé sa trace pour se réfugier ici — probablement à la recherche de contrebandiers d’identités capables de lui retirer le localisateur implanté.

Quoi qu’il en soit, traiter avec des criminels comportait toujours un risque.

Il accéléra encore.

Vers midi, Shen Siwei franchit la barrière défensive séparant la ville Z de sa voisine : une cité fantôme.

Il en avait déjà vu des images au journal, mais poser ses bottes sur cette rue envahie de gravier fit remonter en lui un mélange confus d’émotions. Du regret ? De la mélancolie ? Il ne savait pas. Pourtant, l’hôtel en libre-service dressé devant lui lui paraissait étrangement familier.

En plein jour, aucune silhouette de réfugié dans les rues désertes. L’hôtel, lui aussi abandonné, gardait ses portes presque bloquées par des éboulis. Shen Siwei se glissa dans l’étroite ouverture et pénétra dans le hall.

L’écran de la borne d’auto-enregistrement avait été écrasé par l’effondrement du plafond, ne laissant que le cadre intact. Il y jeta un regard distrait, prêt à passer son chemin… puis s’arrêta net, frappé d’une impression soudaine.

Il fixait la borne brisée comme si, jadis, quelqu’un s’y était adossé, lui parlant d’un ton désinvolte.

Qui ?

Impossible de s’en souvenir. Il secoua la tête et continua.

Le sol du hall était couvert d’une couche épaisse de poussière, marquée d’empreintes multiples et désordonnées. Il s’accroupit : des bottes militaires.

Une équipe était donc déjà passée. Moran n’en avait rien dit, mais ce n’était pas étonnant : quelqu’un avait dû tenter de retrouver Amor avant lui, sans succès.

Les empreintes menaient jusqu’au troisième étage. Là, elles se croisaient dans un chaos illisible. Des impacts de balles criblaient les murs du couloir : l’équipe avait rencontré un incident sérieux.

En suivant ces traces brouillées, Shen Siwei entra dans une chambre. Des sachets de compléments nutritionnels vides, des lingettes humides usagées, traînaient encore. Ils n’avaient presque pas de poussière : quelqu’un était venu récemment.

Des lingettes de ce prix, seuls les privilégiés pouvaient en user. Cela ne pouvait être qu’Amor.

Mais alors, détail troublant : toutes les empreintes convergeaient vers la même direction. Personne n’était ressorti par l’entrée principale.

Il s’approcha de la fenêtre. Le rebord était piétiné de traces, et l’extérieur couvert de gravats. Depuis le troisième étage, la chute n’aurait rien eu de dangereux.

Il reconstitua rapidement la scène : Amor avait fixé un rendez-vous avec un faussaire d’identités pour retirer son implant. L’équipe spéciale l’avait suivi, mais il avait dû s’échapper par la fenêtre. Les agents, pris dans une embuscade, avaient eux aussi évacué en catastrophe par là.

Shen Siwei laissa ces conclusions de côté lorsqu’il aperçut, près du lit, un journal de cuir à demi rempli. En le feuilletant distraitement, une carte du désert gelé glissa au sol. Sur la dernière page, une note : « Départ pour le champ de glace demain ».

Pourquoi un sociologue irait-il s’enterrer là-bas ? Mystère. Mais c’était l’unique piste.

Il allait repartir quand un sifflement glaçant lui fit tourner la tête.

Un python géant remplissait presque l’encadrement de la porte, sa tête monstrueuse balayant l’air, yeux luisants plantés dans les siens, langue écarlate vibrant d’un souffle venimeux.

Shen Siwei bougea à peine d’un centimètre : le monstre bondit, projetant un jet de venin corrosif. Le liquide éclaboussa le journal, dévorant aussitôt sa couverture. Shen Siwei l’écarta à temps pour sauver les pages, mais ce bref instant de distraction suffit : l’énorme serpent l’enserra de tout son corps, sa gueule béante prête à l’engloutir.

Il ne perdit pas son calme. D’une main, il saisit la langue bifide et tira de toutes ses forces. Le python hurla, se tordit, roula sur le sol, puis se retira en désordre, vaincu.

Son corps renforcé faisait des merveilles.

Mais ses vêtements, eux, n’avaient pas résisté : brûlés de trous par le venin.

Pas d’eau courante ici. Il dut se nettoyer sommairement avec un drap crasseux avant de changer de tenue.

Z City n’avait plus de défenses valides : que des monstres errent là n’avait rien d’étonnant. Shen Siwei n’avait aucune envie de traverser toute la ville. Il poussa sa moto à pleine puissance en mode vol et prit directement la direction du nord, vers les champs de glace.

Le temps s’étira. Enfin, des montagnes blanches surgirent à l’horizon, renvoyant un soleil aveuglant. Elles paraissaient proches, mais il vola longtemps encore avant d’atteindre la bordure du champ gelé.

La chaleur, il pouvait la tolérer. Le froid, non. Son corps ne gelait pas, mais il haïssait cette morsure glaciale.

La carte signalait un point de repos tout proche. Parfait : il s’y arrêterait. Son corps collait encore de la bave du serpent, malgré son nettoyage sommaire.

Sur place, il découvrit, attenant à la cabane, un onsen naturel. Un cadeau providentiel.

Il gara sa moto, inspecta rapidement les alentours — désert.

Il retira sa chemise, frotta son corps à la glace pour éliminer les restes du venin, puis se dévêtit entièrement et s’immergea dans l’eau tiède.

Depuis son réveil, il peinait à ressentir quoi que ce soit. Mais cette fois, il perçut nettement un soulagement profond. L’eau chaude l’enveloppait comme une caresse maternelle. Il ferma les yeux, savourant… puis une impression de déjà-vu le traversa.

La dernière fois qu’il s’était baigné dans une source chaude, quelqu’un se tenait à ses côtés. Il avait toujours aimé ça… Non. Quelque chose clochait.

Ses yeux verts s’ouvrirent brusquement, glacés, fixant l’immensité blanche.

Cette sensation revenait encore et encore. Pas une simple illusion.

Dossiers personnels, bœuf séché et compléments, hôtels en libre-service, onsen… Autant de fragments éparpillés, réels mais flous, comme des rêves. Il voulait s’y accrocher, mais ses souvenirs lui échappaient comme un cerf-volant dont la ficelle s’était rompue.

Avait-il subi une erreur lors de sa transformation ? Devait-il en parler à Moran ?

Il leva la main pour activer son communicateur. Mais alors, des pas résonnèrent derrière lui.

Légers. Trop légers pour deux silhouettes lourdes. Même un chat n’aurait pas avancé aussi discrètement sur la glace.

Et pourtant, deux hommes approchaient.

Il agrippa son arme près du rebord, pivota d’un geste vif, et mit en joue les intrus.

L’eau s'agita en éclaboussures, puis retomba dans un silence troublé, ponctué seulement d’un reniflement.

Shen Siwei fronça les sourcils. Deux hommes se tenaient bien là. L’un claquait des dents, grelottant, les mains sous ses aisselles. L’autre, vêtu d’un simple manteau léger, fixait Shen Siwei droit dans les yeux, impassible face au froid.

Le profil s’imposa aussitôt dans son esprit : Klet.
Âge : inconnu. Taille : 1,95 m. Criminel le plus recherché des autorités.

En chair et en os, il paraissait encore plus imposant que sur les dossiers.

Le regard de Shen Siwei vacilla, troublé par une pensée familière — comme s’il avait déjà eu cette impression.

Klet fronça les sourcils, debout au bord de l’onsen :

— Négociateur ?

À ce mot, l’esprit de Shen Siwei se figea une seconde. Il reprit aussitôt le contrôle, arma son pistolet et demanda d’une voix dure :

— Qui est le Négociateur ?

 

 

 


 

Le premier arc de Mo Du avance tout doucement, j'en suis à 20 chapitres sur 31. (J'ai tellement tellement TELLEMENT hâte de partager ce bébé parfait 😍)

En attendant on se retrouve Lundi avec Top Edge

 

 

 

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Commentaires

  1. Hâte aussi de lire Mo Du 😁

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    1. Mo Du c'est un tout autre univers ! ^^ Bien plus complexe à lire et suivre et ce n'est clairement pas pour tout le monde. Mais mon dieu ce que j'aime cette œuvre et son couple 😍

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    2. Oui c'est tres différent mais j'adore. Je reste sur ma faim avec le drama même si j'ai beaucoup aimé

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    3. Je dois regarder le drama, je n'ai toujours pas trouvé le courage (comme pour celui de KOD) car j'ai tellement aimé les livres que même si tout le monde me dit que je vais adorer, j'ai quand même peur 😭 Mais bon, pour Mo Du je suis décidée depuis un moment, je dois juste trouver le temps.

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