Silent Reading : Chapitre 5 - Julien V
Le lendemain matin, Luo Wenzhou retourna au Commissariat Central pour discuter avec le Directeur Zhang, puis prit la route du sous-bureau du Marché aux Fleurs avec Tao Ran.
À peine garés, Lang Qiao, arrivée plus tôt, vint à leur rencontre.
— « Où étiez-vous ? », dit-elle en leur tendant deux cafés. « Ils ont arrêté Ma Xiaowei. Il a été identifié comme suspect principal, embarqué dans une voiture de police ce matin et suivi par les médias en ligne tout le long du trajet. Ils viennent à peine de se disperser. »
Tao Ran sursauta.
— « Quoi ?! »
Luo Wenzhou posa calmement une main sur son épaule.
— « Tout s'est fait dans les règles ? »
Lang Qiao soupira, presque inaudible :
— « Chef, avec Wang Hongliang sur place, impossible qu'une faille se glisse. »
— « Quelles preuves ? » demanda le capitaine, le ton lourd.
—
« Le téléphone portable », répondit-elle aussitôt. « Celui de la
victime a été retrouvé chez Ma Xiaowei. Officiellement, le responsable
de l'affaire a reçu un rapport hier soir : le suspect aurait été vu avec
un nouveau téléphone, semblable à celui que la victime avait perdu. Le
sous-bureau a aussitôt envoyé des agents pour le convoquer. Ils ont
retrouvé le téléphone et relevé ses empreintes digitales dessus, en plus
de celles de la victime. »
Luo Wenzhou fronça les sourcils.
Tao Ran alla droit au but :
— « Qui a signalé l'incident ? Et comment savait-il que c'était bien le téléphone de He Zhongyi ? »
—
« Apparemment, c'est un modèle tout récent, d'une marque très chère.
Peu de gens en ont ici. Un proche l'aurait offert à He Zhongyi, et tout
le monde l'a vu quand il l'a reçu. Ça a marqué les esprits. »
— «
L'identité de l'informateur n'a aucune importance », trancha Luo
Wenzhou. « Même si Wang Hongliang et ses hommes ont forcé la fouille,
ils peuvent toujours trouver un faux témoin après coup. Le vrai
problème, c'est le téléphone. Posséder celui de la victime ne fait pas
de Ma Xiaowei un meurtrier. Trop léger comme preuve. Est-ce que le gamin
a dit quelque chose de compromettant ? Ou bien on lui a extorqué des
aveux ? »
— « Dans le mille, » fit Lang Qiao.
Elle jeta un coup d'œil autour d'elle, baissant la voix :
—
« Je ne pense pas qu'ils aient eu recours à la force. Le petit a menti
sur son âge pour pouvoir bosser, j'ai fait vérifier hier soir. Sa carte
d'identité est falsifiée. Il n'a que seize ans. S'il a peur, il dira
n'importe quoi. Quand ils lui ont demandé d'où venait le téléphone, il a
hésité, puis a dit qu'il l'avait ramassé. »
— « Sur les lieux du
crime, j'imagine, » dit Luo Wenzhou en secouant la tête. « Ils lui ont
aussi demandé quand ? Environ neuf heures et quart, quand il a entendu
une dispute en bas et qu'il est descendu ? »
Lang Qiao haussa les mains :
— « Exact. À l'heure donnée par les autres témoins, il dit être allé sur place et avoir ramassé le téléphone. Quant au meurtrier, il n'a rien vu. »
Luo Wenzhou resta sans voix, se caressant le menton.
— « Ça faisait longtemps que je n'avais pas vu un meurtrier aussi candide. »
Avant que Lang Qiao ne puisse répliquer, Wang Hongliang surgit :
— « J'étais en réunion hier, j'ai quitté mon poste un moment. Je rentre à peine et j'entends que le suspect est déjà arrêté ? Les membres du Central sont vraiment des modèles de dévouement. Quelle efficacité ! »
Le visage de Luo Wenzhou, un peu sombre, se détendit de force. Il lui rendit un sourire indéchiffrable :
— « Wang-dage⁽¹⁾ fait dans la politesse. En réalité, vous devez penser qu'on vous a volé le mérite. »
Wang Hongliang afficha un large sourire, ses deux grandes dents de devant fièrement exposées.
— « Tout est pour le peuple. Où serait le mérite là-dedans ? »
À peine avait-il fini que Lang Qiao intervint :
— « Directeur Wang, la chaîne de preuves n'est pas encore complète, non ? L'arme du crime n'a pas été retrouvée et Ma Xiaowei n'a pas avoué. Beaucoup de zones d'ombre subsistent. Vous pensez que nous pourrions vous aider pour le suivi ? »
La jeune femme avait des yeux immenses ; elle avait même été personnellement examinée par Ceng Guangling, expert médico-légal du Commissariat Central. Selon lui, ses yeux étaient encore plus grands que ceux de « Xiao-Yanzi⁽²⁾ » dans la série télévisée. Pour éviter les rides, Lang Qiao ne souriait jamais à la légère. Quand les circonstances l'exigeaient, elle fixait simplement du regard et ne bougeait que la bouche. Avec le temps, elle avait cultivé un faux sourire impeccable. Bien qu'elle fût plutôt ingénue, ce sourire lui donnait une allure hautaine et élégante.
Lorsqu'elle interrogeait des criminels, elle pouvait endosser plusieurs rôles à la fois–la parente sévère, ou encore le bourreau sans scrupules–sans jamais manquer de crédibilité.
Lang Qiao avait parlé d'« aider », mais son ton résonnait comme une réprimande. Ses immenses yeux froids fixaient le Directeur Wang, si perçants qu'ils semblaient renvoyer ses deux grandes dents de devant se réfugier dans sa bouche, telle une tortue dans sa carapace.
Wang Hongliang, l'expression crispée, s'exclama :
— « Xiao-Lang, que voulez-vous dire ? »
— « Hé, Xiao-Qiao-er⁽³⁾, comment peux-tu être aussi empotée ? »
Luo Wenzhou plaça Lang Qiao derrière lui et la réprimanda d'un ton neutre, avant de tourner vers leur collègue un regard hautain. Il lui servit un faux sourire cordial :
— « Directeur Wang, nous n'avons pas aidé le moins du monde jusque-là. Mais si nous pouvons être utiles pour la suite, allez-y, donnez-nous vos instructions. »
Wang Hongliang, plein d'appréhensions, n'osait pas se disputer ouvertement. Il fit semblant de ne rien comprendre, grogna un peu, puis se retourna et s'éloigna.
Lang Qiao posa les mains sur ses hanches et le regarda partir :
— « J'ai entendu dire que les dossiers sur lui rempliraient une boîte à chaussures entière. Comment peut-il être encore aussi arrogant ? »
Luo Wenzhou glissa une cigarette entre ses lèvres et lui lança un regard :
— « Tu n'as pas peur que, si on ne réussit pas à le faire virer cette fois, il te complique la vie à l'avenir ? »
— « Ha ! » Lang Qiao leva les yeux au ciel. « Et alors ? Je démissionnerai et je vivrai de mon charme. »
—
« Une jeune femme ne devrait pas être si effrontée. » Le sourire de Luo
Wenzhou se durcit tandis qu'il reprenait : « Ce Ma Xiaowei est
peut-être le meurtrier, ou peut-être simplement stupide.
Personnellement, je penche pour la deuxième hypothèse. Si j'avais tué
quelqu'un, j'aurais au moins inventé une histoire crédible. Même me
contenter de dire que j'étais chez moi à regarder la télé et que je n'ai
rien entendu, ce serait toujours mieux que de sortir des histoires de
fantômes à la police. Jusqu'à présent, la scène n'a révélé aucune trace
exploitable. Le meurtrier est audacieux, mais aussi prudent, calme et
impitoyable. Il a clairement pris des précautions pour ne pas être
découvert. Je doute fort qu'il soit aussi stupide que ce gamin. »
— «
Je pense aussi que ce n'est pas lui. » Tao Ran répéta en quelques mots
ce que Fei Du avait dit la veille dans la voiture. « Il vaut mieux
creuser les relations personnelles de He Zhongyi. Par exemple, qui lui a
vraiment offert ce téléphone ? Et on pourrait aussi retrouver la
personne qui lui a prêté ses chaussures. »
Luo Wenzhou écouta et laissa échapper un « waouh » avant d'ajouter avec hésitation :
— « Tu dis que ses chaussures ont été empruntées ? C'est une idée un peu... »
— « Ce n'est pas de moi. »
Luo Wenzhou se figea d'abord. Puis, comme si son cœur et celui de Tao Ran battaient à l'unisson, il comprit instantanément le sous-entendu de ses paroles. Son front se plissa brusquement.
— « Fei Du ? Je t'avais dit qu'il valait mieux ne pas le laisser toucher à ces choses. »
— « Je sais. Hier, c'était un accident. » Tao Ran coupa court. « Que penses-tu de cette piste ? »
—
« Pas mal. On va essayer de lancer une enquête à partir de ces
chaussures », déclara Luo Wenzhou. « Continue de suivre l'affaire. Lang
Qiao, surveille l'équipe qui interroge Ma Xiaowei. Il y a encore
beaucoup de points suspects à son sujet. Je pense qu'il sait autre
chose. Par ailleurs, prends des précautions contre les manœuvres de Wang
Hongliang et compagnie. Je vais le surveiller pour toi. Si tu as besoin
de quoi que ce soit, appelle-moi quand tu veux. Allez, mes beautés !
Aujourd'hui, heures sup' offertes à l'État ! »
Lang Qiao étouffait de curiosité. Une fois Luo Wenzhou partie, elle se lança à la poursuite de Tao Ran.
— « Qui était ce type hier ? Pourquoi le Boss dit de ne pas le laisser toucher à l'affaire ? »
— « Bien sûr qu'il n'a pas le droit d'y toucher », dit Tao Ran. « Il n'est pas de la police. »
Lang Qiao ne le laissa pas noyer le poisson.
— « Alors pourquoi le patron a-t-il accepté l'hypothèse des chaussures si vite, après avoir appris que c'était son idée ? C'est le détective Conan ? »
Tao Ran soupira et se tourna vers elle. Elle força ses yeux déjà très puissants à s'ouvrir encore plus grand et le fixa du regard.
— « Cligner des yeux donne des rides », dit le lieutenant.
Lang Qiao redressa rapidement les coins des yeux et du front avec les doigts. Tao Ran marqua une pause, puis dit simplement :
— « Fei Du a signalé une affaire dont Wenzhou et moi nous nous sommes occupés. C'était il y a sept ans. »
Ils venaient tout juste d'obtenir leur diplôme. C'étaient des jeunes gens inexpérimentés, instables dans leur travail. Surtout Luo Wenzhou. Fils d'un fonctionnaire, il avait été très arrogant dans sa jeunesse, insubordonné et mécontent de tout. Il se croyait bourré de talent, numéro un mondial devant un certain Sherlock Holmes. Travailler ? Il ne considérait pas ça ainsi : il se voyait déjà parti sauver la galaxie. Sa gestion des affaires était très peu fiable. À ses débuts, s'il était envoyé pour régler un conflit communautaire, il pouvait facilement le transformer en guerre.
Cet après-midi-là, une bande de voleurs rôdait et il fallait les arrêter. Partout, la police réagit. Le Commissariat municipal, chaque sous-bureau et même les commissariats locaux envoyèrent des agents. Seuls les jeunes Luo Wenzhou et Tao Ran, jugés par leurs aînés comme susceptibles de faire plus de mal que de bien, restèrent de garde.
— « Le 110⁽⁴⁾nous a contactés et nous a informés qu'un enfant avait signalé une affaire relevant de notre juridiction. Il était rentré de l'école pour le week-end et avait trouvé le corps de sa mère à la maison. Cet enfant, c'était Fei Du. Il était alors au collège⁽⁵⁾. »
Lang Qiao se figea.
— « Plus tard, l'enquête a révélé que sa mère s'était suicidée. Wenzhou est allée le lui dire en personne, mais il n'y a pas cru... Depuis, ils ne s'entendent pas vraiment. »
Pendant qu'il parlait, Tao Ran avait déjà atteint le portail du sous-bureau.
— « Tu as dû constater que sa famille est plutôt aisée. Son père était un homme d'affaires ordinaire, souvent absent pour son travail. Quand sa femme est décédée, il n'est revenu que plusieurs jours plus tard. Fei Du n'était pas très sociable quand il était petit. Il a eu plusieurs femmes de ménage, et aucune n'est restée. Il était généralement seul dans cette grande maison où quelqu'un était décédé. »
Son regard se perdit un instant dans le vague, tandis que les souvenirs lui revenaient.
—
« C'était notre premier cas sérieux, ça avait donc une signification
particulière. Nous ne pouvions pas ignorer la situation. Je me sentais
mal à l'idée que cet enfant n'ait personne pour s'occuper de lui, alors
pendant le Nouvel An et les autres fêtes, je l'hébergeais quelques
jours. Il a souvent traîné avec nous pendant cette période. » Il marqua
un temps d'arrêt. « Avec le temps, on a découvert qu'il avait un talent
particulier. »
— « Pour ? » demanda Lang Qiao.
Tao Ran fit une pause, puis murmura :
— « Le crime. »
Elle nota immédiatement qu'il avait employé le mot « crime » et non « déduction » ou « enquête ». Mais avant qu'elle puisse l'interroger davantage, il lui fit un signe de la main et s'éloigna précipitamment.
Voilà pour cette petite introduction à Mo Du. C'est une histoire qui prend son temps, donc pour le moment, normal de ne pas savoir dans quoi vous êtes tombé.es. Mais, au moins, vous avez un mini aperçu, ainsi qu'un échantillon de mon travail de traduction.
À samedi pour la suite.
⁽¹⁾ Dàgē (大哥) : litt. « grand frère », terme amical pour s'adresser à un homme plus âgé. Dans la traduction, je conserve parfois « Lao-ge » (老哥), proche en nuance. 大哥 est un peu plus formel que 老哥, qui est plus familier et direct.
⁽²⁾ Xiao-Yanzi (小燕子) : héroïne du drama des années 1990 « Princesse Pearl » (还珠格格 Huan Zhu Ge Ge), jouée par Vicki Zhao, célèbre pour ses yeux très grands.
⁽³⁾Xiao-Qiao-er (小乔儿) : Dans ce passage, Luo Wenzhou appelle Lang Qiao « Xiao-Qiao-er » (小乔儿). Le préfixe Xiao (小) est une façon affectueuse ou familière de surnommer quelqu'un, souvent utilisé par des aînés envers des plus jeunes ou pour exprimer une certaine proximité. Le suffixe -er (儿化音, erhuayin), fréquent en mandarin du nord, sert ici à adoucir le surnom et à lui donner un ton encore plus familier, presque taquin. Dans la bouche de Luo Wenzhou, « Xiao-Qiao-er » souligne à la fois la camaraderie et un côté légèrement (gentiment) moqueur envers sa collègue.
⁽⁴⁾ 110 : numéro d'urgence de la police en Chine.
⁽⁵⁾Collège : Pour infos, ça couvre l'ensemble du secondaire, collège + lycée. Concrètement, cela correspond en France au collège (de la 6ᵉ à la 3ᵉ) et au lycée (de la 2nde à la Terminale) Donc je vais utiliser collège/lycée selon la tranche d'âge.
🕵️♂️ Récapitulatif de l'enquête Chapitre 5
Personnages :
🔸 Ma Xiaowei : jeune suspect principal (16 ans, carte d'identité falsifiée)
Informations découvertes :
🔸 Ma Xiaowei arrêté, identifié comme suspect principal.
🔸 Téléphone de He Zhongyi retrouvé chez Ma Xiaowei, avec empreintes du suspect et de la victime.
🔸 Ma Xiaowei a déclaré avoir ramassé le téléphone sur les lieux, ne rien avoir vu du meurtrier.
🔸 L'arme du crime n'a pas été retrouvée, aucun aveu obtenu.
🔸 Le "vrai" meurtrier semble prudent, audacieux et méthodique.
🔸 Les chaussures de He Zhongyi ont été prêtées par quelqu'un ? Piste à explorer..
Autres éléments :
🔸 Ma Xiaowei a menti sur son âge pour travailler, peut influencer ses déclarations.
🔸 Tension entre l'équipe et Wang Hongliang, qui pourrait interférer.
Faits discordants :
🔸 Possession du téléphone ≠ culpabilité de Ma Xiaowei.
🔸 Ma Xiaowei décrit comme candide. Peu probable qu'il soit le meurtrier ?
🔸 Absence de preuves directes reliant Ma Xiaowei au crime.
Pistes émergentes :
🔸 Vérifier la provenance du téléphone de He Zhongyi.
🔸 Suivre les relations personnelles de He Zhongyi, notamment la personne qui lui a prêté ses chaussures.
🔸 Surveiller Wang Hongliang et son équipe pour éviter toute interférence.
🔸 Continuer à interroger Ma Xiaowei sans pression, pour vérifier la cohérence de ses déclarations.
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La relation entre Luo et Fei est assez houleuse ! J'ai hâte d'en savoir plus sur l'enquête aussi, j'aime beaucoup tes recap ça permet de remettre certaines choses "oubliées" en perspectives
RépondreSupprimerJ'ai toujours l'impression de faire face à un chien et un chat ^^ J'adore leurs face à face. C'est ce qu'on découvre en premier de leur dynamique et c'est ce qui m'a séduite direct. Mais oui, au début, leur relation est vraiment compliquée et la tension et les non-dits sont palpables....
SupprimerAh ça me fait plaisir, si c'est utile, merci ☺️