Top Edge : Chapitre 36 - J’ai peur que tu t’échappes

 

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La peau de Shen Siwei n'était pas synthétique, mais bel et bien la sienne.

Il avait interrogé le Dr Chen sur le processus de transformation ; au début de l'expérience, pour modeler une musculature parfaite, sa peau avait été intégralement retirée. Le chercheur avait prélevé ses cellules cutanées, les avait mêlées à un matériau polymère inédit, et cultivé une nouvelle génération de tissus d'une résistance extrême.

Ces cellules modifiées avaient été réintégrées dans son corps sans le moindre rejet. Après une phase de croissance, il avait donc obtenu cette enveloppe invulnérable.

Au premier regard, elle paraissait identique à celle de n'importe quel humain ; au toucher aussi. La seule différence était que, mis à part le cuir chevelu et les sourcils, aucun autre poil ne poussait sur son corps.

— Comment le sais-tu ? demanda-t-il, surpris.
— On a déjà été ensemble aux sources chaudes, répondit Klet d'un ton égal. Et tu te déshabillais souvent devant moi.

Le ton était calme, trop sincère pour paraître inventé. Cette assurance troubla Shen Siwei. Et si cette sensation de déjà-vu qu'il avait ressentie dans l'onsen venait réellement de là ?

Voyant son silence, Klet poursuivit :

— Tu ne me crois pas ? Regarde plutôt.

Il ouvrit la paume de sa main droite et un mini-ordinateur s'activa, projetant des images holographiques.

Sur l'écran flottait une silhouette blonde en peignoir, visiblement hésitante. Puis, sans prévenir, elle retira le tissu, révélant son corps nu.

Klet appuya sur pause et demanda :

— Alors, tu vois ?

Shen Siwei fixa l'image. Les traits, la carrure, tout correspondait. Exactement lui. La scène avait quelque chose de dérangeant : il savait que ce n'était pas son passé, mais contempler son double nu provoquait malgré tout un malaise diffus.

— Tu oses espionner quelqu'un pendant qu'il se change ? fronça-t-il les sourcils.
— Ce n'est pas « quelqu'un », c'est toi.
— Donc, sous prétexte que c'est moi, tu te permets de m'épier ?
— Évidemment, dit Klet. Ce sont les caméras de surveillance de chez moi.

Shen Siwei cligna des yeux, presque perdu.

— Pourquoi est-ce que je serais chez toi ?
— Tu es venu en mission, il y a cinq ans. Tu n'en as aucun souvenir ? La voix grave de Klet avait une douceur inhabituelle. Si tu veux, je peux te raconter.
— Je n'ai pas le temps, trancha Shen Siwei.

Face au criminel le plus recherché par l'armée, il n'avait aucune raison d'accorder le moindre crédit à ses paroles. Sa mission actuelle — retrouver Amor — ne souffrait pas de retard.

Il sortit la carte électronique et vérifia la position indiquée dans le carnet du disparu. En plein cœur des champs de glace. Impossible d'y arriver avant la tombée de la nuit.

— Tu comptes aller jusqu'au Dôme de Glace ? demanda Klet en penchant la tête, les yeux sur la carte.

Shen Siwei ne répondit pas, rangea la carte et entra dans la petite cabane.

L'espace intérieur était exigu. Un poêle, une table carrée, un banc et un lit simple suffisaient à saturer la pièce. Mais à des centaines de kilomètres à la ronde, c'était le seul abri. Il n'avait pas le luxe de se montrer difficile. Il s'assit sur le banc, sortit le journal d'Amor et l'ouvrit.

Voyant qu'aucune conversation ne suivait, Klet s'installa de son côté, sur le lit, et lança des dessins animés.

Étrange type, pensa Shen Siwei.

Plus étrange encore, ce sentiment que lui aussi avait regardé ces mêmes images récemment.

Il secoua la tête et se concentra sur l'écriture soignée d'Amor.

1er janvier, 23XX

La nuit dernière, veille du Nouvel An. J'ai passé du temps avec mon père, mais l'ambiance était pesante. Adolf estime que l'Arbre de Vie a besoin d'une forte natalité et propose de produire des embryons artificiels. Mon père s'y oppose : pour lui, accroître la population civile menacerait notre suprématie. Rita soutient Adolf. Elle désire un enfant. Elle n'ose pas le dire, mais elle craint qu'après la mort de mon père, veuve sans descendance, elle ne puisse rivaliser avec Adolf pour l'héritage. Mon père refuse catégoriquement : céder ouvrirait la porte aux revendications des civils. Et eux sont bien plus nombreux que les Margs.

Il m'a demandé mon avis, mais je n'avais rien à dire. Ici, tout tourne autour des bénéfices immédiats. Personne ne songe à l'avenir de l'humanité ni de la Terre. Quand l'Arbre déclinera, notre espèce déclinera avec lui. L'humanité finira par périr.

L'écriture était soignée, mais les mots dégoulinaient de pessimisme.

Tout le journal vibrait de cette impuissance. Amor aspirait au changement, mais se retrouvait étouffé par son rôle. Devant ses étudiants, il répétait les dogmes dominants. Dans son carnet, il confiait sa véritable pensée.

Dehors, le ciel s'assombrit. Le vent mugissait, projetant grêlons et neige contre la fenêtre. Shen Siwei sortit un complément nutritif, prêt à continuer sa lecture, quand la voix grave s'éleva :

— Il y en a un pour moi ?

Un regard vers Klet, un autre vers la ration, puis il replongea dans le journal.

— Il n'y en a pas pour toi.
— Oh, fit l'autre d'un ton tranquille. Tu t'es introduit chez moi, tu as mangé mon bœuf, et maintenant tu refuses même de partager un complément.

Shen Siwei fronça les sourcils.

— Je ne me suis jamais introduit nulle part, ni rien mangé...

Il s'interrompit. Ses yeux restèrent accrochés à la ration, ses pensées s'emmêlant.

Klet claqua des doigts devant lui.

— Tu as vraiment l'air abruti, lâcha-t-il.

Les veines de Shen Siwei battirent sur son front.

— Tu veux que je t'en colle une ?
— Tu voulais me tuer avant, rappela calmement Klet.

Après le bain aux sources chaudes, quand il avait arraché son masque à oxygène et même osé lui donner une tape sur les fesses.

— Avec une fonction cardiorespiratoire si faible, as-tu déjà pensé à la soigner sérieusement ?
— Comment sais-tu ça ?

Le militaire n'aimait pas l'admettre, mais certaines de ses remarques étaient impossibles à réfuter.

— Je l'ai dit, nous nous connaissons.

Shen Siwei ravala ses soupçons et demanda :

— Tu as dit que je voulais te tuer. Alors pourquoi aurais-je changé d'avis ?
— Parce que tes supérieurs avaient ordonné le bombardement de la ville Z.
— Il y avait des monstres déformés. L'armée n'avait pas le choix.
— Erreur. Les monstres, toi et moi, on les avait déjà repoussés. Ce que l'armée voulait, c'était exterminer les civils.

Shen Siwei eut un sourire froid.

— Paroles de Rossignols. Ça ressemble aux théories du complot qu'on lit en ligne. Tu crois convaincre qui avec ça ?
— Tsk.

Klet porta deux doigts à ses tempes, l'air sombre, presque accablé.

Shen Siwei pencha la tête, sur ses gardes.

— Pourquoi cette tête ?
— Tu as vraiment perdu l'esprit.

Il ne répondit pas.

Klet désigna le carnet d'un signe du menton.

— Et cette fois, tu as encore une mission spéciale ?
— Ça ne te regarde pas, répliqua Shen Siwei en rangeant le journal dans son sac.
— Mais tu devras m'emmener partout, insista Klet.

Quoi qu'il fasse, il fallait garder ce type sous surveillance. Une véritable chaîne aux pieds.

Pour clore la discussion, Shen Siwei dit :

— Je cherche quelqu'un.

Il avala son complément, vérifia l'heure, puis décrocha une des menottes du poignet de Klet pour l'attacher au sien.

— Repose-toi. On partira à l'aube.

Impossible de le laisser libre. Il filerait sur la moto au beau milieu de la nuit.

Il l'entraîna vers le lit et désigna la place près du mur.

— Tu dors là.
— Vraiment ? Sûr que tu veux finir au sol ?

Le lit étroit mesurait à peine un mètre vingt. Si Klet s'allongeait seul, il occupait presque tout l'espace. Deux personnes devaient dormir sur le côté pour tenir ensemble. Mais si Klet était près du mur, le moindre mouvement de sa part suffirait à expulser l'autre homme hors du lit.

— Alors toi, tu dors où ? demanda Shen Siwei.

Au lieu de répondre, Klet passa son bras menotté autour de sa taille.

— On dort ensemble.

Pris de court, Shen Siwei se raidit, prêt à réagir. Mais Klet se contenta de le tirer contre lui, l'écrasant dans ses bras. Coincé entre le mur et sa large poitrine, il sentit la chaleur passer à travers les vêtements.

Peu importe comment on le regardait, la situation était absurde. Shen Siwei se débattit, tourna le menton et lança d'un ton sec :

— Tu te fous de moi ? Qu'est-ce que tu fabriques ?
— J'ai peur que tu t'échappes, répondit Klet d'une voix paresseuse, les yeux fermés.

Shen Siwei resta interdit.

— ... N'est-ce pas toi, le fugitif ?










Klet est décidé à ne pas laisser son homme lui échapper cette fois 🤭

 

 

 

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