Top Edge : Chapitre 38 - Ciel étoilé
Une bouffée de colère monta dans la gorge de Shen Siwei, et il demanda avec irritation :
— Alors, qu’est-ce que tu faisais avant ?
Depuis que les traces de pneus avaient disparu, il restait sur le qui-vive, craignant à chaque instant un danger imprévu.
Klet, lui, demeurait silencieux, bien qu’il connaisse visiblement la route.
— Je te regardais conduire, répondit-il d’un ton détaché.
— C’est amusant ?
— Hmm.
Shen Siwei était à bout de patience.
Il ne pouvait s’empêcher de repenser au « négociateur » et à cet « ami » que Klet avait mentionnés.
Pourquoi un soldat aussi compétent aurait-il choisi d’aider un type pareil ?
La moto serpentait entre les virages de la plaque de glace, tandis que la carte électronique affichait sans cesse des alertes de danger.
Au début, Shen Siwei restait tendu, mais au fil du temps, il dut admettre que Klet connaissait réellement le terrain.
— Tu es déjà venu sur cette plaque ? demanda-t-il, reprenant sa question.
— Souvent, répondit Klet. J’ai un tatouage de la plaque de glace dans le dos. Tu l’as déjà vu ?
— Non.
— Alors je te le montrerai une autre fois.
— Ça ne m’intéresse pas.
Ils échangèrent quelques phrases sans importance tout en traversant l’immense étendue gelée.
Klet ne roulait pas vite, mais sa conduite restait stable ; il savait
où tourner et suivait sans hésiter la direction de leur destination.
Le temps passa.
Quand le soleil toucha l’horizon, l’ombre du Dôme de Glace apparut enfin devant eux : le point le plus élevé de la plaque de glace du Nord, culminant à plus de quatre mille mètres.
Le journal d’Amor signalait une petite cabine sur le Dôme, un lieu de passage fréquent pour les aventuriers.
— Accroche-toi, dit soudain Klet. Il y a un courant souterrain devant, on va le survoler.
Avec si peu de lumière restante, il n’y avait plus moyen de faire un détour.
Les pneus avant et arrière s’écartèrent, se transformant en quatre moteurs orientés vers le sol.
L’instant d’après, la moto s’éleva dans les airs.
Shen Siwei, déjà penché sur l’avant, sentit soudain un bras l’enlacer par la taille.
— Tu n’as pas besoin de me tenir, fronça-t-il les sourcils.
— C’est une ceinture de sécurité, répliqua Klet en resserrant son étreinte.
Shen Siwei n’avait pas vu quelqu’un d’aussi… enfantin depuis longtemps.
Impossible de se débattre en plein vol ; il se contenta de grommeler :
— Tu es toujours aussi puéril ?
Lorsqu’ils atteignirent le point de repos sur le Dôme de Glace, la nuit était déjà tombée.
Shen Siwei entra directement dans la petite cabine pour inspecter les lieux. Sans surprise, il n’y trouva aucune trace d’Amor. Selon les règles d’exploration du champ de glace, après avoir utilisé un point de repos, il fallait le nettoyer pour le confort des voyageurs suivants.
Autrement dit, même si Amor était bien passé par là, il avait effacé toute trace de son passage.
À
l’hôtel en libre-service abandonné, Shen Siwei avait pu recueillir
quelques indices. Mais ici, face à une cabine impeccable, il se sentait
démuni.
Impossible de déterminer si Amor avait atteint le Dôme ou s’il avait péri en route.
— La personne que tu cherches est-elle venue jusqu’ici ? demanda Klet.
Shen Siwei ne répondit pas.
Les indices s’arrêtaient là, et il n’avait aucune envie de bavarder.
Klet s’approcha alors d’une armoire, en sortit un carnet épais et le posa sur la table.
— Ceux qui passent laissent un message ici. Tu peux jeter un œil.
Puis il quitta la cabine.
Shen Siwei leva les yeux vers la fenêtre et aperçut Klet qui se déshabillait avant d’entrer dans l’eau. Les points de repos étaient généralement construits près des sources chaudes, et celui du Dôme de Glace ne faisait pas exception. Depuis sa position, il distinguait clairement le dos de Klet. Il détourna aussitôt le regard, ouvrit le carnet et se mit à lire.
La dernière note datait d’il y a dix jours. L’écriture lui était familière :
« Ce n’est qu’en quittant l’Arbre de Vie qu’on peut vraiment apprécier la grandeur de la nature.
Je ne comprends toujours pas pourquoi nos ancêtres auraient abandonné un lieu si beau.
Merci de m’avoir conduit ici, de m’avoir montré un autre paysage.
Merci d’être entré dans ma vie monotone et de m’avoir libéré de mes chaînes.
J’espère que notre voyage à venir se déroulera en toute sécurité.
5 août, 23XX.
Amor / XXX »
Le style raffiné correspondait parfaitement à celui du disparu, mais quelque chose clochait.
Shen
Siwei avait toujours pensé qu’Amor voyageait seul, or le texte laissait
clairement entendre qu’il était accompagné. La signature aussi
différait : deux mains distinctes. Après un examen attentif, il ne
parvint à déchiffrer que le nom de famille « Li » pour la seconde
personne. Soudain, un passage du journal d’Amor lui revint en mémoire.
Il sortit de la cabine, prit son sac à dos sur la moto et en retira le carnet d’Amor.
5 février, 23XX
« Aujourd’hui, je suis allé dans le district ouest inférieur pour mes recherches, et j’y ai découvert une nouvelle profession : chasseur de monstres. Ces gens traquent et capturent des créatures pour les revendre. On dit que c’est un moyen de subsistance convenable. Cette activité est sans doute apparue après l’abandon de la ville Z, dans le district ouest. Les monstres s’y aventurent, se font piéger, et les humains les chassent.
Je savais déjà que certains étaient vendus sur le marché noir, mais jamais cette pratique n’avait été aussi organisée. Peut-être que bientôt, le gouvernement instaurera des lois pour encadrer ce commerce.
Au fait, la personne que j’ai interrogée s’appelle Li , un chasseur de monstres à l’humour vif et plein d’esprit. »
Lorsque Shen Siwei avait lu cette partie la veille, il n’y avait pas prêté grande attention. Mais à présent, il comprenait : le départ d’Amor de l’Arbre de Vie était sans doute lié à cette personne nommée Li.
Il poursuivit sa lecture.
18 mars, 23XX
« Aujourd’hui, Li est venu à mon bureau. J’en ai été surpris, mais aussi très heureux.
Je lui avais dit que, s’il avait un peu de temps, il pouvait passer.
Ses réflexions sur l’Arbre de Vie m’avaient marqué, et j’aurais aimé en
discuter davantage avec lui. Je pensais qu’il ne prendrait pas ma
proposition au sérieux, mais il est réellement venu. Pendant la pause de
midi, nous avons longuement parlé. Il dit être quelqu’un d’ordinaire,
peu instruit, mais je ne crois pas que le nombre de livres lus mesure la
profondeur d’un être humain. J’ai lu beaucoup de livres, sans avoir
beaucoup voyagé. L’écouter raconter certaines choses m’a fait me sentir
comme une grenouille au fond d’un puits. Je suis heureux d’avoir eu
l’occasion d’échanger aussi longuement avec lui aujourd’hui. »
À
partir de là, Li apparut de plus en plus souvent dans le journal. Avant
qu’Amor ne quitte l’Arbre de Vie, ils avaient déjà confirmé leur
relation.
Shen Siwei comprit enfin toute l’histoire : celle d’un jeune homme en fuite, parti avec un garçon de bonne famille.
Bien sûr, parler d’enlèvement serait exagéré. Après la rencontre avec Li, le style d’écriture d’Amor avait changé du tout au tout : le ton sombre et résigné avait laissé place à des phrases pleines d’élan et d’espérance.
En parcourant ces pages, il percevait avec une netteté troublante la transformation d’Amor, d’un être désabusé à quelqu’un qui brûlait à nouveau du désir de vivre.
Alors l’amour pouvait-il vraiment changer un être humain à ce point ?
Shen Siwei pensa à Moran. Mais son cœur, lui, resta immobile.
À ce moment-là, Klet cria soudain derrière lui :
— Négociateur.
Shen Siwei tourna la tête, et le vit lever le menton.
— Regarde le ciel, dit Klet.
Sans trop y penser, Shen Siwei obéit et leva les yeux.
L’instant d’après, il en resta presque sans souffle.
D’innombrables étoiles parsemaient le ciel d’encre, et d’immenses rubans verts ondulaient dans la nuit ; les aurores, éclatantes et irréelles.
Shen Siwei comprit alors pourquoi Amor et Li avaient fait le voyage jusqu’au Dôme de Glace :
ils étaient venus voir cela.
— Négociateur, appela encore Klet, viens ici.
Hier encore, Shen Siwei n’aurait jamais accepté de partager une source chaude avec un criminel recherché. Mais aujourd’hui, peut-être à cause du froid, du silence ou de la fatigue, il hésita un moment, puis finit par retirer ses vêtements et s’approcher.
La nuit sur le champ de glace était glaciale, mais l’eau brûlante apaisait tout.
Il s’adossa, le regard perdu vers les cieux, laissant la chaleur le gagner peu à peu.
— J’y viens souvent, dit Klet en éclaboussant un peu d’eau sur son épaule.
Puis il tourna la tête vers lui :
— Alors, la vue ?
— Magnifique, répondit Shen Siwei, relâchant malgré lui sa vigilance.
On ne voit pas ce genre de spectacle depuis l’Arbre de Vie.
Peut-être que, lorsque Moran lui avait proposé d’observer le ciel nocturne, il voulait lui montrer un paysage comme celui-ci. Mais il y avait une différence : à l’époque, cela lui semblait une perte de temps. À présent, sous ce ciel vibrant, il trouvait que le voyage à travers la glace en valait la peine.
Et, sans comprendre pourquoi, il n’éprouvait aucune résistance à partager cette vue avec Klet.
— J’y ai déjà pensé, murmura Klet en regardant au loin, parlant lentement. Si j’avais l’occasion de te revoir, je t’emmènerais ici.
Shen Siwei pinça les lèvres, prêt à dire qu’il n’était pas cette personne. Mais au moment où les mots lui montèrent aux lèvres, il se ravisa et demanda simplement :
— Pourquoi ?
—
Parce qu’avant que l’armée ne commence le bombardement, nous étions
assis sur le toit à regarder le coucher de soleil, répondit Klet avec un
sourire un peu ironique. Je sais que tu ne t’en souviens pas.
Shen Siwei admit qu’il pouvait parfois réagir lentement après un long gel, mais il savait reconnaître un mensonge. Et Klet n’avait pas l’air de mentir — à moins d’être un conteur hors pair.
— Oui, répondit-il, je ne m’en souviens pas.
—
La vue, à l’époque, était belle aussi, continua Klet. Je me souviens
que le coucher de soleil te teintait les cheveux en orange, comme un
fruit.
Shen Siwei fronça les sourcils.
— C’est toi qui ressembles à une orange.
— Les oranges sont mignonnes, dit Klet en le fixant, j’aime manger des oranges.
…Qu’est-ce que c’était encore que ça ?
Shen Siwei resta interdit, ne sachant même pas comment réagir. Puis Klet reprit, plus calme :
— Tu ne veux vraiment pas savoir ce qui s’est passé il y a cinq ans ?
Honnêtement, Shen Siwei en avait envie. Mais il sentait qu’il ne devait pas écouter. S’il entendait la suite, il risquait de finir par croire à l’histoire que Klet racontait.
À ce moment, son communicateur vibra soudain. Il baissa les yeux et vit un message de Moran :
[Moran : Pourquoi n’as-tu pas envoyé de rapport depuis deux nuits ?]
Shen Siwei resta un instant pensif.
Est-ce
ainsi que se comportent des amants ? Ils ne s’écrivent presque jamais,
et quand ils le font, ce n’est que pour parler travail.
Pourquoi ce lien lui semblait-il si différent de celui entre Amor et Li ?
[Shen Siwei : Toujours en traque.]
Il referma le communicateur, expira doucement, puis tourna la tête vers Klet.
— Raconte-moi, dit-il, ce qui s’est passé il y a cinq ans.
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Oui vite qu'il retrouve la mémoire 🤞
RépondreSupprimerÇa me rendait dingue cette amnésie lors de ma première lecture ! 😂
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