Top Edge : Chapitre 42 - Quelqu'un à ses côtés
Il n'y avait pas grand-chose à manger dans les souterrains, mais Klet avait tout de même réussi à dénicher quelques morceaux de viande de lapin séchée.
La chair, coriace, se coinçait entre les dents de Shen Siwei. Il mâchait avec l'air de livrer un combat à mort, persuadé que ses dents, elles au moins, n'avaient jamais été modifiées.
Bientôt, la bouilloire sur le réchaud électromagnétique se mit à siffler, crachant un nuage de vapeur. Klet sortit une tasse émaillée, servit de l'eau chaude pour Shen Siwei, puis s'installa de nouveau sur le canapé.
— Tu peux la boire directement ? demanda-t-il.
La bouche pleine, Shen Siwei réussit à avaler de travers :
— Non.
— Donc, en gros, tu fais le dur, mais seulement en surface, conclut Klet.
Le soldat ignora la remarque et s'attaqua de nouveau à la viande sèche.
— Quand tu n'as pas d'effort violent à faire, tu n'as pas besoin de porter ton masque, observa Klet. Ça veut dire que dès que tu fournis une activité intense, tu dois l'avoir ?
Shen Siwei fronça les sourcils.
— Pourquoi tu poses autant de questions ?
— Pour comprendre ton corps.
— Il n'y a rien à comprendre.
Sauf qu'après avoir découvert qu'il pouvait déplacer les particules magnétiques, lui-même ne comprenait plus grand-chose à son propre corps.
Klet termina son morceau de viande avec calme, s'essuya les mains et demanda :
— Tu veux te reposer ici cette nuit ?
Dans la cité souterraine, la nuit grouillait de vie, alors que la journée, on pouvait passer des heures sans croiser une seule âme.
Shen Siwei but une gorgée d'eau tiède, posa la tasse émaillée et répondit :
— Allons d'abord retrouver Amor.
La cité n'avait rien d'un lieu touristique. Amor et Li ne devaient s'y trouver que pour loger quelque part.
⸻
— Vieux Fantôme, c'est moi, annonça Klet en frappant à un rideau métallique clos, s'adressant à la caméra fixée en hauteur.
Une voix aigre résonna peu après :
— Qui est l'autre, à côté de toi ?
— Un ami, répondit Klet, avant d'ajouter : Un ami de Malken aussi.
Le rideau se souleva à mi-hauteur. Shen Siwei suivit Klet, courbé pour passer sous la porte.
Le passage étroit était encombré de composants électroniques hors d'usage.
— Le Vieux Fantôme, c'est le mentor de Malken, expliqua Klet.
Le soldat fouilla sa mémoire.
— Je n'ai jamais entendu ce nom.
— Normal, dit Klet. On l'appelait la Main Mécanique, avant.
Là, le nom lui était familier. Première conceptrice de prothèses mécaniques. Une officier pleine d'avenir, devenue de plus en plus instable, qui avait fini par utiliser des soldats comme cobayes. Elle avait été bannie définitivement de l'Arbre de Vie.
Que ce soit le Duc ou la Main Mécanique, Shen Siwei connaissait ces noms, bien avant sa cryostase. Ces personnages lui paraissaient lointains à l'époque. À présent, dans la cité souterraine du désert, il avait l'impression de feuilleter un livre d'histoire qui reprenait vie sous ses yeux.
— Elle est méfiante, et son caractère est... particulier, prévint Klet. Laisse-moi parler.
— D'accord.
Au bout du couloir, une pièce faiblement éclairée s'ouvrait sur un mur entier tapissé d'écrans de surveillance, couvrant toutes les entrées et passages de la cité souterraine.
Une vieille femme, cheveux gris sous un foulard à carreaux, était assise dans un fauteuil roulant. Une pipe coincée entre ses doigts, elle leva vers Klet ses yeux morts et souffla :
— Passe-moi le briquet.
Il balaya la table encombrée d'un regard et saisit distraitement le briquet rouge le plus proche.
— Pas celui-là, il est vide. Donne-moi le bleu, reprit la vieille, les yeux toujours fixés dans le vide, mais parfaitement consciente de chacun de ses gestes.
Klet s'exécuta. La pipe s'embrasa, la pièce se remplit d'une bouffée de fumée âcre.
— Qu'est-ce que tu veux de moi ? demanda le Vieux Fantôme, toujours de son regard absent.
— Vérifie les caméras, répondit Klet. Retrouve deux personnes.
— Regarde toi-même.
Le fugitif s'approcha du mur d'écrans et posa la main sur la console.
— Pas ce bouton-là, prévint la vieille. C'est pour figer l'image. Plus haut, à gauche.
C'est à ce moment que Shen Siwei comprit : elle ne voyait pas avec ses propres yeux.
De sa position, lui ne pouvait même pas distinguer clairement les gestes de Klet, et pourtant, la vieille savait exactement quel bouton il s'apprêtait à presser.
Les images se mirent à défiler à rebours, projetant sur les murs des silhouettes accélérées. Le Vieux Fantôme, pipe à la bouche, commenta avec nonchalance :
— Malken dit que tu mets l'amour au-dessus de l'amitié, et que tu refuses de l'aider. Est-ce que c'est lui, l'homme qui t'intéresse ?
Appuyé des deux mains contre la console, Klet leva les yeux vers les écrans et répondit d'un ton indifférent :
— Oui.
Quoi... ?
Shen Siwei fixa son dos, abasourdi.
Il est obligé d'admettre ça aussi directement ?
Le Vieux Fantôme ricana deux fois :
— Approche, que je t'examine.
Ses yeux sans direction ne guidaient rien, mais ses paroles visaient clairement Shen Siwei. Celui-ci fit un pas hésitant.
— Plus près, insista-t-elle en levant le menton.
À cet instant, la petite caméra posée sur la table se déplaça de gauche à droite, comme un œil.
Il eut un frisson. Klet se retourna brièvement :
— Ses yeux, ce sont les caméras.
Puis, tournant de nouveau la tête :
— Toutes les caméras de la cité souterraine, ce sont ses yeux.
Shen Siwei avait déjà imaginé cette éventualité. Les yeux artificiels mécaniques pouvaient offrir ce genre de connexion. Mais ici, les yeux de la vieille étaient de chair, bien réels. Jusqu'où les biotechnologies avaient-elles progressé pour permettre une telle fusion ?
Réprimant sa stupeur, il se pencha légèrement vers l'avant.
— Pourquoi tu portes un masque ? demanda le Vieux Fantôme.
Shen Siwei, bien sûr, ne répondit pas. Et Klet, comme s'ils étaient reliés par télépathie, prit l'initiative de poursuivre :
— Je pourrai te le présenter plus tard ? Viens plutôt m'aider à trouver quelqu'un.
Le fauteuil roulant se mit à avancer lentement, quittant l'ombre de la table pour venir se placer aux côtés de Klet.
Shen
Siwei se demandait comment ce fauteuil pouvait bouger tout seul, quand
il aperçut plusieurs câbles de données reliés entre l'arrière de la tête
de l'Ancien Fantôme et son siège.
La réponse allait de soi : elle pouvait contrôler son fauteuil et toutes les caméras connectées à elle par la seule force de sa pensée.
Voilà qui sied à une ancienne scientifique en chef de l'armée.
Une idée lui traversa brusquement l'esprit.
Le docteur Chen n'était sans doute pas aussi puissant qu'elle, si ?
L'image sur le mur bascula, révélant les enregistrements de surveillance d'Amor et de Li.
Sur l'écran, le jeune homme à l'air distingué portait une fausse barbe et s'était dissimulé en partie sous un manteau à capuche.
Son compagnon, Li, en revanche, se montrait bien plus direct : pas de masque, son visage découvert affichait ses traits marqués.
— Qui sont ces deux-là ? demanda la vieille femme.
— Des amis d'un ami, répondit Klet sans s'étendre.
L'enregistrement de ce jour-là fut agrandi, et les deux silhouettes emplirent tout le mur d'écrans.
On les voyait acheter une grande quantité de batteries dans la cité souterraine, puis se diriger vers une sortie pour charger leur aéronef.
— Combien de temps pour atteindre les ruines d'ici ? demanda Amor.
Sa voix était douce, cultivée, teintée d'une impatience contenue.
Shen Siwei remarqua qu'Amor n'avait rien à voir avec le portrait laissé dans les journaux de l'époque. Ses lèvres portaient un sourire tranquille, et ses yeux, tournés vers Li, débordaient d'admiration.
— Deux jours tout au plus, répondit Li avec un sourire. Hâte d'y être ?
— Oui. L'aurore est magnifique. Je veux aussi voir la mer avec toi.
Li pinça la joue d'Amor.
— Je ne te décevrai pas.
Leur bonheur semblait traverser l'écran, éclaboussant l'air alentour. Shen Siwei resta figé devant ces images radieuses, jusqu'à ce qu'il entende l'Ancien Fantôme claquer la langue deux fois :
— Les jeunes...
Klet appuya sur pause et se tourna vers Shen Siwei :
— Ils vont vers les ruines du Sud.
Le soldat détacha son regard des sourires éblouissants figés à l'écran :
— Pourquoi veulent-ils aller dans les ruines pour voir la mer ?
Après tout, l'Arctique comme les ruines bordaient le grand océan. S'ils voulaient contempler la mer, ils auraient aussi bien pu choisir le Nord.
— C'est pour la vue, répondit Klet. Sur la côte, il reste une tour de plus de cent étages. De là-haut, on peut voir très loin.
— Les jeunes adorent jouer avec le danger, ricana l'Ancien Fantôme. Pourvu qu'ils ne crèvent pas en chemin.
Les monstres étaient justement nés des fuites nucléaires des ruines du Sud. On pouvait dire que c'étaient leur nid.
Tout ça, juste pour voir la mer depuis un meilleur angle.
Shen Siwei se demanda si cela en valait vraiment la peine.
Ils quittèrent la vieille femme et remontèrent par le même chemin.
— On va aux ruines du Sud ensuite ? demanda Klet.
Shen Siwei ne répondit pas tout de suite, les images de surveillance tournant encore dans sa tête. Sa mère avait été une mère célibataire et il n'avait jamais regardé de comédies romantiques. Il n'avait jamais vu d'histoire d'amour autour de lui jusqu'à ce qu'il observe la façon dont Amor et Li s'adressaient l'un à l'autre. Il comprit alors que le fait d'avoir quelqu'un à ses côtés avait l'air agréable.
Assez agréable pour qu'il en ait envie.
— Négociateur ? appela de nouveau Klet.
Shen Siwei revint à lui et demanda :
— Tu m'accompagnes ?
Retrouver Amor était sa mission, le jeune homme n'avait aucune obligation d'y participer.
— Bien sûr, répondit Klet spontanément. Si je ne t'accompagne pas, qui le fera ?
Son cœur se réchauffant malgré lui, Shen Siwei pinça les lèvres et murmura :
— Hum, d'accord.
Ils continuèrent d'avancer. Au bout d'un instant, ils revinrent devant la maison de Klet. Mais en voyant la scène dans le couloir, tous deux ralentirent et froncèrent les sourcils.
Sasha avait la bouche bâillonnée d'un chiffon blanc, et le Duc lui tenait l'épaule d'une main tandis que l'autre pressait une dague contre sa nuque. Il avait l'air d'avoir attendu cela depuis longtemps ; à la vue de Klet, il cria de rage :
— Rends-moi l'argent, ou je la tue !
Sasha se débattait, mais elle n'était qu'une enfant et ne pouvait pas se libérer.
— Ne bouge pas ! cria le Duc en serrant plus fort, laissant une marque de sang sur sa nuque.
La petite tenta d'appeler Klet, mais le chiffon transforma ses sons en un gémissement étouffé.
— Rends-moi l'argent ! répéta le Duc. Je veux remplacer mon œil artificiel, remplacer ma main, tu me dois ça !
— Après toutes ces années, souffla Klet d'une voix froide, tu peux pas arrêter de semer le chaos ?
Le Duc réitéra sa demande en serrant plus fort ; Sasha fondit en larmes d'effroi. Même si sa visée était mauvaise, il était capable de tuer l'enfant qu'il tenait.
Shen Siwei regarda Klet calmement et vit que celui-ci serrait les poings, prêt à frapper, mais se maîtrisait avec force. Poursuivre ainsi ne résoudrait rien. Le soldat soupira, toucha son masque à oxygène, leva l'autre bras, et l'instant d'après, la dague s'envola de la main du Duc et se retrouva dans la sienne.
Tout le monde, sauf Shen Siwei, resta figé. Sasha réagit la première : elle poussa son agresseur, se dégagea et disparut en un clin d'œil.
Privé d'arme et d'otage, le Duc explosa de colère, les yeux injectés de sang.
— Tu paieras bientôt pour ça ! lança-t-il, puis il s'enfuit.
Le petit incident ne les affecta pas. Klet ouvrit la porte et demanda avec curiosité :
— Comment t'as fait ça ?
— Je ne sais pas exactement, répondit Shen Siwei en haussant les épaules tout en préparant son sac. Mais je peux.
—
Tu aurais développé une capacité spéciale ? Tu es plus fort que moi,
dit Klet en se caressant le menton, songeur. Notre enfant sera sûrement
incroyable.
Les gestes du soldat se figèrent net.
— Qui t'a dit que j'allais avoir un enfant avec toi ? Créer des embryons artificiels est illégal, je te signale !
Klet hocha la tête, songeur.
— Tu as raison.
⸻
À City Z, dans le quartier ouest, au sous-sol du salon de coiffure. Malken recousait minutieusement le poignet de Leizhe.
— Tu pourrais pas faire un peu plus attention la prochaine fois ? J'ai plus aucune fausse identité à te refiler, tu sais ?
Leizhe éclata de rire, insouciant :
— Tant que t'es là, je me sens en sécurité.
Malken s'apprêtait à répliquer quand son communicateur se mit soudain à vibrer. Il y jeta un regard distrait, sans y prêter attention au départ. Mais en voyant clairement le message, il posa aussitôt l'aiguille.
— Klet est prêt à aider, annonça-t-il en clignant des yeux, incrédule. Il a accepté d'aller aux ruines.
— Sérieux ? Leizhe parut tout aussi surpris. Pourtant, t'es allé le voir y a quelques jours, et il a refusé net, non ?
— Ouais, répondit Malken, totalement perplexe. Il a posé une condition.
— Laquelle ? demanda Leizhe.
— Il dit qu'une fois qu'on aura réussi...
Malken fronça les sourcils et se pencha vers l'hologramme du communicateur.
— ...il faudra plaider pour la légalisation des embryons artificiels.
— ...
Leizhe resta interdit.
— Ce type est quand même vachement difficile à suivre.
Klet veut un gosse avec son chéri et il est prêt à tout pour ça, ok ?! 🤣
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Klet ne perds pas le nord 🤣🤣
RépondreSupprimerSes objectifs sont clairs et nets ! 🤣
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