Top Edge : Chapitre 45 - L'accord

 

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— Ta mère ?

À ce mot, Klet, qui s'était jusque-là appuyé nonchalamment contre le bureau, se redressa aussitôt, la confusion traversant brièvement son regard.

Même si la plaque du nom avait disparu et qu'aucune photo ne décorait le bureau, Shen Siwei le savait : c'était bien le bureau de sa mère.

— Elle était l'ingénieure en chef ici, dit-il. Responsable de la conception de la station énergétique de l'Arbre de Vie.
— Je comprends, répondit Klet après un instant de réflexion. Pas étonnant que tu sois né là-haut.

Sans s'en rendre compte, Shen Siwei laissa son esprit vagabonder. Une idée le frappa soudain : peut-être que beaucoup de choses avaient été prédéterminées depuis longtemps.

Même s'il n'avait pas choisi d'entrer dans l'armée, avec son origine, il aurait probablement suivi une carrière politique.
Peut-être que, dans un monde parallèle, son identité aurait été celle d'un négociateur et qu'il aurait malgré tout rencontré Klet.

— Négociateur ? Klet pencha la tête, interrompant ses rêveries. Tu m'aides à le retrouver ?

Shen Siwei reprit ses esprits, alluma sa lampe torche et entra dans le bureau.

— Tu es sûr qu'il est ici ?
— Pas sûr, admit le fugitif en se dirigeant vers la bibliothèque pour fouiller. Mais c'est très probable.

Shen Siwei ouvrit les tiroirs du bureau.

— Pourquoi ?
— Tu ne t'en souviens sûrement pas, mais il y avait quelqu'un nommé Avis parmi les Rossignols. Un hacker. C'est lui qui avait piraté la surveillance de ton hôtel pour t'assassiner.
— Je ne m'en souviens pas, confirma Shen Siwei. Et ensuite ?
— Il cherchait cet accord en ligne, expliqua Klet. Chaque fois qu'il s'en approchait, les données disparaissaient. 

Il fit une pause avant d'ajouter : 

— Et à chaque fois, on retrouvait des traces de l'armée.

Shen Siwei referma le tiroir vide.

— Tu veux dire que les Margs ont effacé cet accord de tout le réseau ?

À cette époque, pour économiser le papier, la plupart des documents étaient stockés en ligne. Si les privilèges d'accès au réseau étaient suffisamment élevés, il était en effet possible de tout manipuler dans l'ombre.

— C'est ce qu'Avis pensait, répondit Klet en s'accroupissant pour fouiller les liasses de documents éparpillés.
— Mais les souvenirs des gens ?

Shen Siwei fronça les sourcils.

Si cet accord avait vraiment été signé à l'époque, il y aurait forcément des témoins qui s'en rappelleraient.

— La plupart des premiers habitants de l'Arbre de Vie sont morts, dit Klet en cessant de chercher. Ta mère...
— Oui, confirma doucement le soldat.

Avec l'explosion de la technologie médicale, l'écart de longévité entre les premiers habitants de l'Arbre de Vie et les générations suivantes s'était creusé. La mère de Shen Siwei, par exemple, était morte de maladie à soixante-dix ans, alors que lui, avait atteint le même âge tout en conservant une apparence de jeunesse.

— En plus, la domination des Margs n'a pas commencé avec la construction de l'Arbre de Vie, dit Klet en ramassant un document avant de reprendre ses recherches. Elle a commencé après la destruction de la station d'énergie des grands fonds.
— Tu veux dire, intervint Shen Siwei, qu'avant ça, les gens coexistaient avec les Margs sur un pied d'égalité ?

Dans un tel contexte, personne n'aurait songé à brandir l'accord.

Comme tous les traités de paix à travers l'Histoire : tant qu'il n'y a pas de conflit, personne ne ressent le besoin d'en rappeler l'existence.

Avec le temps, les habitants originels de l'Arbre de Vie vieillissaient et disparaissaient, tandis que les nouvelles générations ignoraient tout de cette histoire.

— Je n'ai pas vécu cette époque, poursuivit Klet en laissant tomber les papiers inutiles au sol. Mais Malken racontait qu'il y avait eu un moment où une véritable mode de culte des Margs s'était répandue dans l'Arbre de Vie.
— Je m'en souviens, répondit Shen Siwei après un temps de réflexion. Les jeunes imitaient leurs vêtements, leur allure, les prenaient pour des idoles.

Le soldat n'était pas le seul à s'en rappeler ; c'était aussi écrit dans le journal d'Amor.

Au départ, les Margs vivaient comme des civils ordinaires. Mais il fallait reconnaître qu'ils étaient plus beaux, plus grands, plus forts. Les classes populaires commencèrent à envier les élites, et cette idolâtrie dégénéra en mode sociale.

Amor notait que, dès cette époque, les mentalités avaient commencé à changer en profondeur.

Puis la station sous-marine fut détruite, et l'Arbre de Vie se retrouva confronté à une nouvelle crise énergétique. La plupart des signataires de l'accord avaient déjà disparu. Quant aux autres, ils avaient déjà intégré l'idée que « les Margs étaient supérieurs ». Alors, si ce n'étaient pas eux qui devaient diriger, qui le pourrait ?

— Voilà pourquoi les Rossignols trouvent si difficile de prêcher le changement, conclut Klet. Tant qu'on ne change pas les mentalités, impossible de renverser le statu quo.
— Si un tel accord existait vraiment, dit Shen Siwei en fronçant les sourcils, il leur donnerait une légitimité écrasante. Et beaucoup plus de monde les écouterait.
— Mais il n'est pas ici.

Klet balaya la pièce de sa lampe torche. Ils avaient fouillé partout.

Les plans de l'Arbre de Vie se trouvaient là, car la mère de Shen Siwei en avait été la conceptrice. Mais l'accord, elle ne l'avait pas rédigé ; tout au plus y avait-elle participé.

Participante...

Le regard de Shen Siwei glissa soudain sur le mur, vers un cadre photo électronique. L'écran noirci ne montrait plus rien depuis longtemps, faute d'alimentation.

— Tu as déjà utilisé ça ? demanda-t-il en retirant la vitre épaisse et en cherchant une prise sur le boîtier.
— Un gros téléphone ? proposa Klet en tenant la plaque pour l'éclairer.
— Ça y ressemble, mais pas exactement.

Shen Siwei tâta le cadre et en sortit une petite carte mémoire.

— C'est un cadre numérique. Il lit la carte et affiche les photos qu'elle contient.

Klet observa l'objet entre ses doigts. Le soldat sortit de son sac un vieux lecteur. Bien que cette carte mémoire ait plus de cent ans, les données qu'elle renfermait étaient encore intactes.

Il n'y avait pas beaucoup de photos, à peine quelques dizaines, presque toutes liées au travail, à l'exception de quelques paysages marins.

— C'est ta mère ? demanda Klet en regardant la femme qui apparaissait sur toutes les photos.
— Oui, répondit Shen Siwei d'un léger hochement de tête.

Sa mère portait toujours des tenues professionnelles et des lunettes à monture argentée, et cela n'avait pas changé depuis des décennies.

— Elle est belle, observa Klet en regardant Shen Siwei. Ma mère est belle elle aussi. Tu veux voir ses photos ?

Shen Siwei allait répondre « oui », mais à ce moment-là, une photo de groupe apparut à l'écran, captant toute leur attention.

— « Cérémonie de signature de l'Accord de Développement de l'Arbre de Vie ? » lut Klet sur la bannière rouge, et tous deux froncèrent instinctivement les sourcils.

La photo de groupe montrait une vingtaine ou une trentaine de personnes alignées, souriantes et applaudissant. Les deux personnes au centre tenaient quelque chose ressemblant à un certificat. À gauche se trouvait la mère de Shen Siwei, et à droite, une personne qu'il avait déjà rencontrée : Miller.

Il agrandit l'image des deux tenant le certificat, et le texte sur l'égalité était clairement visible.

— « ...L'Arbre de Vie appartient à tous, peu importe leur niveau de résidence, et chacun jouit de droits égaux... » lut Klet à voix haute depuis la photo.
— Donc l'accord existe vraiment, murmura Shen Siwei en reposant le lecteur, perdu dans ses pensées.

Même s'ils l'avaient supposé, le choc fut réel à la vue de l'accord lui-même.

Il y a plus d'un siècle, les concepteurs avaient déjà anticipé le risque d'inégalités liées à la hiérarchisation des zones résidentielles et administratives. Ils avaient signé cet accord, pensant qu'il protégerait tout le monde, mais le temps avait tout enfoui.

C'était un passé perdu, une histoire disparue.

Shen Siwei pouvait presque imaginer les remous que cette révélation provoquerait au sein de l'Arbre de Vie si elle venait à être connue.

— Qu'en penses-tu ? demanda soudain Klet.

La veille, il avait demandé à Shen Siwei de choisir entre égalité et sécurité. À l'époque, il avait choisi la neutralité, ne sachant pas vraiment où se situer, privilégiant inconsciemment la stabilité de l'Arbre de Vie. Mais maintenant, face à ce qu'il tenait dans ses mains, une réponse nouvelle s'imposait dans son cœur.

— Transmets ça aux Rossignols, dit-il.

Après avoir quitté le centre de conception, Shen Siwei s'assit dans le couloir, le regard perdu sur les anciennes photos de sa mère.

Il se souvenait qu'à son réveil, même penser à sa famille ou à ses amis ne déclenchait aucune émotion. Mais maintenant, c'était différent. Il ressentait tristesse et nostalgie, comme si son cœur figé retrouvait enfin sa chaleur.

Était-ce à cause de Klet ?

Il n'en était pas sûr. Mais il avait remarqué que ses émotions ne semblaient bouger qu'en sa présence.

Ce dernier termina rapidement son appel et revint vers lui :

— Et maintenant, quel est ton plan ?
— D'abord, retrouvons Amor, dit Shen Siwei en rangeant le lecteur et en ajustant son état d'esprit. Lui et Li ont laissé leur vaisseau ici, ils doivent donc être à proximité.

Puisqu'ils avaient retracé leur position jusqu'ici, ils n'étaient plus qu'à un pas de la percée, il n'y avait donc aucune raison d'abandonner.

— D'accord, répondit Klet.

Shen Siwei se leva et reprit sa marche dans le couloir. Mais à ce moment-là, il s'arrêta brusquement ; le faisceau de sa lampe torche illuminait une silhouette sombre et étrange.

— Il y a quelqu'un, observa Klet à son tour. Il fit quelques pas devant Shen Siwei, puis se retourna vers lui : C'est un cadavre.

Les deux atteignirent la plateforme au milieu du couloir et découvrirent un corps gisant dans une mare de sang, criblé de plusieurs balles. Au vu de l'état de la dépouille, la mort remontait à environ une semaine.

Shen Siwei se pencha près du corps, son expression grave, et dit à Klet :

— C'est Li.

Bien que son visage autrefois séduisant soit devenu bleu et violet, ses vêtements confirmaient qu'il s'agissait bien de Li.

Klet fronça les sourcils.

— Pourquoi est-il mort ici, soudainement ?

Shen Siwei balaya les alentours du regard et ramassa une douille sur le sol.

— C'est une balle militaire. Les forces spéciales l'utilisent.

Il avait envisagé la possibilité qu'Amor et Li aient été attaqués par des créatures et morts en cours de route. Mais il ne s'attendait pas à trouver présence militaire ici.

— Peut-être que l'armée a déjà emmené Amor ? demanda Klet.

Shen Siwei ne pouvait qu'envisager cette possibilité.

Depuis le départ, il avait toujours été "une semaine" derrière Amor. Autrement dit, quand Shen Siwei était arrivé ici, Li avait déjà été tué par les forces spéciales la semaine précédente.

Mais ils ne pouvaient pas avoir tué Amor ; ils l'auraient ramené au niveau supérieur de l'Arbre de Vie.

Si c'est le cas...

Shen Siwei fronça profondément les sourcils.

— Alors pourquoi Moran m'a-t-il envoyé ici ?








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