Silent Reading : Chapitre 10 - Julien X

 

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La psychologue observa attentivement Fei Du.

L’espace d’un instant, une expression complexe, traversée d’une irritation indicible, passa sur son visage. Elle le fit paraître plus jeune, plus vivant qu’à l’ordinaire. Elle en fut presque surprise.

Il avait été orienté vers le Dr Bai il y a quelques années. Son précédent médecin était son shidi1, un spécialiste des adolescents et jeunes adultes. Avant cela, il avait consulté un nombre indéterminé de praticiens ; Fei Du lui-même ne se souvenait probablement plus combien. On aurait pu croire qu’il était simplement un patient compliqué.

Au début, elle avait voulu savoir quel problème avait poussé cet enfant à consulter, et pourquoi il changeait sans cesse de spécialiste.

— « Je n’arrive vraiment pas à cerner ce qu’il a », avait soupiré son collègue. « Il est plutôt coopératif. J’ai essayé d’aborder le manque d’affection dans son enfance, la mort malheureuse de sa mère, etc. Il n’esquive rien, il est très sincère dans ses manières. Quand vous n’avez plus rien à dire, il vous propose même parfois, avec beaucoup de gentillesse, le sujet suivant. Bai-jie, vous voyez ce que je veux dire ? »

Le Dr Bai avait tout de suite compris l’implication ; ce patient-là représentait un véritable défi. Elle avait vu passer tous les types de malades récalcitrants. Ceux qui inventaient des histoires dès le départ. Ceux que leur famille obligeait à consulter et qui juraient n’avoir aucun problème. Ceux qui se croyaient très perspicaces et tentaient de renverser l’analyse contre leur thérapeute. Les séances viraient alors au duel intellectuel.

Fei Du, sans doute, était un cas à part parmi les cas particuliers.

Il appartenait à la catégorie de ceux qui inventaient dès le premier rendez-vous, sauf que ses inventions étaient inattaquables. Et en plus, il savait se rendre captivant. Il esquivait très peu, donnait même l’impression de n’avoir rien à cacher. Plus jeune, il maîtrisait déjà parfaitement ses réactions : si la conversation touchait un sujet sensible, il ne se montrait jamais agressif, jamais sur la défensive. Son retour émotionnel paraissait limpide, presque transparent.

Le problème, c’est que ça l’était trop.

Confrontée à une douleur profonde, même la personne la plus équilibrée ne peut garder un calme intellectuel parfait. Après tout, un robot IA n’a besoin que de batteries pleines, pas de thérapie.

Le Dr Bai avait essayé d’innombrables méthodes sans jamais ouvrir de véritable brèche. Finalement, elle avait dû abattre ses cartes :

— « Mes compétences s’arrêtent là. Je ne pourrai peut-être pas vous aider. Si vous pensez en avoir encore besoin, je peux vous orienter vers un collègue plus qualifié. »

Elle ne s’attendait pas à ce que Fei Du refuse. Pire : après plus d’un mois de séances infructueuses, comme un gosse avec plus d’argent que de bon sens, il avait doublé le tarif, s’achetant les deux dernières heures du mercredi soir. Et à chaque fois, il venait avec le même sourire impeccable :

— « Je me sens très à l’aise ici avec vous. Ça m’aide vraiment. »

Il n’y avait pas grand-chose de palpitant dans sa vie quotidienne. Alors Fei Du empruntait un livre à la psychologue, puis venait le rendre la semaine suivante. Ils en discutaient ensemble comme s’il s’agissait d’un cours de psychologie plutôt que d’une séance. Très lentement, à défaut d’effets spectaculaires, cette méthode lui faisait parfois laisser filtrer un peu de ses vraies pensées. Mais dès qu’elle tentait de creuser, il esquivait avec une habileté déconcertante.

Il donnait l’impression de vivre dans un château hermétiquement clos, ceint de murailles de fer. Une seule fenêtre claire laissait entrevoir son regard posé sur le monde extérieur. Et pour qu’il entrouvre prudemment cette fenêtre, il fallait rester parfaitement calme.

Le Dr Bai le scruta avec précaution, puis demanda :

— « Un ami ? »
— « Un farceur qui mord la main qui le nourrit. »

Fei Du grimaça à peine, rangea son téléphone dans sa poche et ajouta :

— « Je vais vous laisser pour aujourd’hui. Je reviendrai vous embêter la semaine prochaine. »

Par habitude, le Dr Bai l’accompagna jusqu’à la porte. La main sur la poignée, il fit signe que ce n’était pas nécessaire. Puis, comme si quelque chose venait de lui revenir :

— « Je crois que la semaine prochaine sera ma dernière visite, docteur. Je préfère vous prévenir, comme ça vous pourrez laisser ce créneau à quelqu’un d’autre. »

Elle s’immobilisa, surprise, et demanda presque malgré elle :

— « Vous pensez que votre problème est résolu ? Vous n’aurez plus besoin de revenir ? »

Fei Du hocha la tête.

— « Oui. Ces derniers temps, j’ai l’impression de sortir peu à peu de ma situation initiale, d’expérimenter de nouvelles façons de vivre. Je vous suis très reconnaissant pour votre aide, toutes ces années. »

Le Dr Bai eut un sourire amer.

— « Mais je ne sais toujours pas où vous en étiez au départ. »
— « L’important, c’est que je le sache. » Fei Du lui rendit son sourire. « Nous en reparlerons la semaine prochaine. »

Le lendemain matin, la fameuse restriction de circulation de Yancheng se poursuivait, toujours aussi redoutée.

Et voilà qu’une certaine personne, chevauchant une bicyclette branlante, les poils de chat encore accrochés à son pantalon, rencontra inévitablement le chemin de son rival amoureux, confortablement installé au volant d’une voiture de luxe.

Qui sait comment d’autres auraient réagi ? Le Capitaine Luo, lui, n’avait aucune vergogne ; sa solidité psychologique était à toute épreuve. Pédalant comme sur un porte-avions, il stoppa sa bicyclette au bord de la route et leva le menton vers Fei Du.

— « Tu viens encore faire la charité aux camarades de la police routière ? Dans un instant, je te colle une amende de stationnement VIP à prix fort. »

Fei Du ouvrit la bouche, mais sans se presser pour répondre.

— « Je me fais sanctionner alors que j’accompagne la sœur d’un ami dans le cadre d’une enquête ? Capitaine Luo, votre bureau ne s’occupe vraiment de rien de légal si cela ne rapporte pas un centime. »

Puis il examina les portes du Commissariat Central, un petit « tsk, quelle misère » accroché au coin des yeux et au bout des sourcils.

Luo Wenzhou regarda derrière lui et vit un homme et une jeune fille sortir de la voiture. Les yeux de cette dernière étaient rouges, et son visage rappelait un peu celui de Zhang Donglai.

— « Zhang Ting ? » fit Luo Wenzhou en descendant de sa bicyclette.

Il ne savait pas grand-chose de la nièce du patron, une jeune fille bien élevée, qui, contrairement à son frère, n’avait jamais eu à subir les petites cellules sombres du commissariat pour excès de vitesse.

Alors qu’elle allait répondre, l’homme à côté d’elle l’interrompit, tendant sa carte de visite :

— « Bonjour, officier. Je suis avocat. J’ai accepté de représenter Zhang Donglai et j’aimerais que vous m’expliquiez les circonstances de l’enquête. »

Luo Wenzhou fronça les sourcils, son regard effleurant l’avocat. Lorsqu’il ne parlait ni ne souriait, son expression était d’une froideur hautaine. Il ne bougea pas pour prendre la carte, se tournant vers Fei Du, adossé à la voiture, jouant sur son téléphone comme si l’affaire ne le concernait pas. Puis il s’adressa à Zhang Ting, par-dessus l’avocat :

— « Avez-vous parlé à votre famille de la possibilité d’engager un avocat ? Votre oncle est-il au courant ? »

Elle le fixa, silencieuse.

Sans attendre sa réponse, Luo Wenzhou prit la carte avec un sourire poli de façade :

— « Vous êtes arrivé très rapidement. Vingt-quatre heures ne se sont pas encore écoulées. »
— « Dans ces circonstances, plus tôt un avocat intervient, mieux c’est, n’est-ce pas ? » répliqua l’homme avec un sourire calculé. « Nous sommes là pour défendre les droits de nos clients. »

Un salut faible se fit entendre derrière eux :

— « Bonjour, Capitaine Luo. »

C’était Xiao Haiyang, portant une pile de dossiers. La veille, Tao Ran l’avait amené au Central ; aujourd’hui, il avait pris l’initiative de venir seul.

— « Parfait » , sourit le capitaine en le regardant.

Puis, le pointant du doigt pour l’avocat, il ajouta :

— « Pourquoi ne pas vous adresser à la personne en charge de cette affaire ? »

Xiao Haiyang, encore abasourdi par la rapidité avec laquelle Luo Wenzhou l’avait mis face à l’avocat, se retrouva aussitôt bombardé de questions.

— « Où… où est l’Adjoint Tao ? »

Luo Wenzhou lui offrit un sourire bienveillant :

— « Tao Ran avait des affaires personnelles à régler. Il a demandé son jour de congé. Xiao-Xiao, cette affaire reste de ta responsabilité. Tu pourras l’expliquer le mieux et le plus clairement possible. »

Après avoir réglé le cas de l’avocat et de Xiao Haiyang, Luo Wenzhou se tourna vers Fei Du, sérieux :

— « Qu’est-ce que tout cela signifie ? »

L’autre haussa les sourcils :

— « Je ne sais pas. Je ne suis qu’un chauffeur trop jeune pour me marier légalement. Je les ai simplement déposés en passant. »

Luo Wenzhou leva les yeux au ciel et fixa Zhang Ting, stupéfaite. Il sortit son téléphone et fit apparaître une photo de He Zhongyi :

— « Je vais faire court. Avez-vous déjà vu cet homme ? »

Surprise, elle recula instinctivement derrière Fei Du, qui leva la main pour retenir le poignet de Luo Wenzhou :

— « Ne peux-tu pas être un peu plus délicat avec une jeune fille ? »
— « Zhang Ting. » Le Capitaine Luo fixa la demoiselle, calme mais sévère. « Cet homme a été tué il y a deux nuits. Votre frère est sérieusement suspecté. Chaque phrase de votre témoignage compte. Pourquoi vous cacher derrière quelqu’un qui n’est pas concerné ? »

Zhang Ting trembla, agrippant la manche de Fei Du.

— « Tout va bien. » Il se pencha et lui parla à l’oreille. « Tingting, dis la vérité. Le Capitaine Luo pense, comme moi, que ton frère n’est pas impliqué. »

Peut-être rassurée par ces mots, elle hésita, puis prit le téléphone de Luo Wenzhou. Longtemps, elle resta immobile, mordillant presque son pouce jusqu’au sang. Enfin, elle hocha la tête :

— « La photo ne lui ressemble pas beaucoup, mais je crois l’avoir vu. J’ai un stage au Centre Économique et Commercial. Un jour, je suis descendue pour acheter un bubble tea et j’ai croisé quelqu’un de bizarre. »

Elle pointa la photo sur le téléphone de Luo Wenzhou :

— « C’était cette personne. Il m’a arrêtée et m’a demandé si je connaissais quelqu’un appelé Fengniange. »

 

 

 


 Je partage aussi 2 chapitres aujourd'hui. Je pense faire ça pendant quelques temps. 

 

Shidi1 : En chinois, shidi (师弟) signifie littéralement « jeune frère d’apprentissage ». Il s’agit d’un terme employé entre disciples d’un même maître, ou étudiants d’une même école, pour désigner un camarade plus jeune (par l’âge ou par l’ancienneté dans l’étude). Par extension, on l’utilise parfois affectueusement entre amis proches pour rappeler une relation fraternelle teintée de hiérarchie. Dans le cas présent, on parle d’un docteur plus jeune que le Dr Bai, qui a fréquenté la même école qu’elle.

 

 

🕵️‍♂️ Récapitulatif de l’enquête
Chapitre 10

 

Personnages :

🔸Dr Bai : psychologue de Fei Du, confrontée à son comportement inhabituel et complexe

🔸Zhang Ting : sœur de Zhang Donglai, témoin indirecte et informatrice potentielle.

Informations découvertes :

🔸Zhang Ting a croisé la victime, He Zhongyi, lors d’un stage au Centre Économique et Commercial et se rappelle un détail clé : il lui a demandé si elle connaissait quelqu’un nommé Fengniange.

Pistes émergentes :

🔸Vérifier l’identité de la personne mentionnée par Zhang Ting (Fengniange) et son lien avec l’affaire.


 

 


 

 

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