Silent Reading : Chapitre 7 - Julien VII

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Cover T1 - Version coréenne

 

 

Lang Qiao entra en trombe dans le bâtiment du Commissariat Central, un parapluie pliable à la main, et laissa derrière elle une traînée d’empreintes détrempées.

Elle glissa en montant les escaliers et faillit s'étaler par terre ; s'accrochant désespérément à la rampe, elle leva les yeux juste à temps pour voir Luo Wenzhou descendre depuis l'étage où se trouvait le bureau du Directeur Zhang.

Luo Wenzhou la regarda, le visage inhabituellement grave.

Lang Qiao dégagea les mèches mouillées de son front.

— « Patron, que se passe-t-il ? Quand tu as l'air aussi sérieux, je commence un peu à paniquer. »
— « Aujourd'hui, à partir d'une piste donnée par le colocataire de la victime, Tao Ran et le petit à lunettes du sous-bureau ont déduit que He Zhongyi a pu rencontrer un individu mystérieux avant sa mort », expliqua Luo Wenzhou d'une voix basse. « Ils auraient eu un léger conflit pendant son travail. Ensuite, en guise d'excuse officielle, cette personne lui aurait offert ce téléphone portable. »

Luo Wenzhou était grand et longiligne ; il marchait très vite. Lang Qiao dut trotter pour le suivre. En entendant ses mots, elle eut l’impression que son cerveau s’évaporait comme l’eau dégoulinant de ses cheveux. D'une voix un peu confuse, elle répéta :

— « Un léger conflit ? Et… un téléphone pour ça ? J'ai des conflits avec des gens dans le métro tous les jours, comment se fait-il que personne ne m'ait jamais donné de téléphone ? »

Pour une fois, son supérieur ne répondit pas à sa plaisanterie.

— « Tao Ran est retourné au centre de distribution où travaillait la victime. Il a enquêté sur son itinéraire de livraison et a finalement trouvé un témoin qui a déclaré que quelques jours auparavant, alors que He Zhongyi avait terminé ses livraisons et s'apprêtait à partir, il s'était bel et bien battu avec quelqu'un non loin de la porte du magasin. La caméra de sécurité a capté le numéro de plaque d'immatriculation de l'individu. »

Tandis qu'ils parlaient, ils arrivèrent tous deux devant une salle d'interrogatoire. À travers la vitre sans tain, ils aperçurent Tao Ran assis en face d'un jeune homme.

Il avait une vingtaine d'années, les cheveux teints couleur lin, vêtu de vêtements de marque. Il tentait désespérément de contenir sa colère ; la fureur semblait s’échapper par tous les pores de son visage.

— « Oui, j'ai peut-être frappé ce perdant, et alors ? J'ai frappé beaucoup de gens. Mais cette histoire ne me concerne vraiment pas. Si vous ne me croyez pas, demandez à Fei Du. N'étions-nous pas ensemble ce soir-là ? Officier Tao, laissez-moi vous dire que si ce n'était pas à cause de Maître Fei, le fait que vous m'arrêtiez comme ça, je… »

Lang Qiao regarda d'un air absent le jeune homme agressif dans la salle d'interrogatoire.

— « C'est le deuxième suspect ? Pourquoi l'avoir amené au Commissariat Central ? »
— « La nuit de sa mort, la victime a dit qu'elle se rendait au Manoir Chengguang. Cette personne y était ce jour-là. » Luo Wenzhou soupira. « Il s'appelle Zhang Donglai. C'est le fils d'un entrepreneur local plutôt prestigieux. »
— « Oh. Un fuerdai. » Lang Qiao cligna des yeux. « Et alors ? »
— « C'est aussi le neveu du Directeur Zhang », ajouta Luo Wenzhou, comme s’il lâchait une bombe.

Lang Qiao resta bouche bée.

Avant qu'elle puisse redémarrer son cerveau, un policier civil en service accourut et dit doucement à Luo Wenzhou :

— « Capitaine Luo, il y a un certain Fei ici qui veut voir l'Adjoint Tao. »

Fei Du remercia poliment l'agent de service qui lui avait servi un verre. Il but une gorgée, puis le posa de côté : c’était de l’instantané, avec un goût curieusement marqué d’huile de sésame.

Il observa la décoration du Commissariat Central, la trouvant de mauvais goût. Et de surcroît mal faite. Il y avait des taches de peinture sur le coin de la table ; elle venait probablement d'être repeinte. Une légère odeur flottait encore.

Lorsque Luo Wenzhou entra, il le vit scruter attentivement le grain de leur table. Il fronçait les sourcils, l'air profondément sombre. S'il n'avait pas pu voir sous la table, le capitaine aurait presque cru qu'un cadavre y était caché.

Fei Du leva les yeux vers lui. Il ne parut pas du tout surpris, hochant simplement la tête.

— « Assieds-toi. »

Luo Wenzhou était soufflé par son audace. Ce gamin se pensait chez lui !

Fei Du remua son café au sésame avec une cuillère en plastique.

— « Où est Tao Ran ? »
— « Il est occupé. »

Luo Wenzhou sortit un stylo et étala son carnet. Sans bavardage inutile, il alla droit au but.

— « Dans la nuit du 20, avant-hier, étais-tu avec Zhang Donglai ? Réfléchis avant de répondre. »

Fei Du s'appuya sur sa chaise, la tête légèrement relevée, jambes longues croisées sans soin. Sa posture n'était pas inconvenante, mais laissait l'impression que cet endroit ne pouvait pas vraiment le contenir.

Il regarda Luo Wenzhou avec un sourire à peine perceptible et demanda à son tour :

— « Capitaine Luo, suis-je suspect ? »

L'officier de police le regarda froidement. Fei Du écarta les mains avec indifférence.

— « Alors tu ferais mieux d'être un peu plus poli avec moi. Je peux partir quand je le souhaite si je suis contrarié.»
— « Oh.» Luo Wenzhou posa son stylo. « Je dois d'abord te faire plaisir ? Bon, pourquoi ne pas me dire comment faire ? Devrais-je te chanter une chanson ou t'acheter un paquet de bonbons ? »

Fei Du, qui avait été éconduit avec quelques caramels par l'agent Tao la veille, n'eut rien à répondre.

Dehors, la tempête frappait si fort la fenêtre qu'elle tremblait. Les deux personnes présentes dans la pièce, se trouvant l'une et l'autre désagréables à regarder, restèrent assises en silence. Au bout d'un moment, pensant peut-être être puéril, Luo Wenzhou eut un rire moqueur, sortit une cartouche de cigarettes, la tapota légèrement sur la table et s'apprêta à allumer une cigarette.

—« La fumée me dérange », dit Fei Du sans qu'on lui ait demandé. « J'ai eu une petite pharyngite récemment. »
—« Si tu perdais ta voix », dit Luo Wenzhou avec un sourire faux, « nous ne serions pas loin de la paix dans le monde. »

Mais il reposa son briquet et fit tournoyer la cigarette dans sa main plusieurs fois.

— « Zhang Donglai dit que vous vous êtes retrouvés à la porte du Manoir Chengguang vers huit heures avant-hier soir. De là jusqu'à minuit, heure de ton départ, tu peux confirmer où il se trouvait. »
— « Je suis arrivé un peu avant huit et parti à minuit dix, dit Fei Du avec calme. Les événements organisés par le propriétaire étaient plutôt « abondants ». Si je disais qu'il est resté dans mon champ de vision tout le temps, ce serait ridicule et tu ne me croirais pas, de toute façon. »

Luo Wenzhou déchira fébrilement le papier à cigarette.

— « Pourquoi ? Vous n'êtes pas restés collés ensemble ? »

Fei Du posa ses coudes sur la table et se pencha légèrement en avant. Une odeur d'eau de Cologne mêlée à la pluie flottait comme des fils de soie.

— « Parce que je n'aime pas partager mes partenaires avec d'autres hommes. Capitaine Luo, si tu me poses à nouveau une question aussi ennuyeuse et fallacieuse, je devrai te dire au revoir. »
— « Je n'avais pas remarqué que tu étais si exigeant. »

Luo Wenzhou lança cette raillerie sans lever les yeux, puis dit :

— « En gros, tu ne peux pas témoigner que Zhang Donglai n'a tué personne au Manoir Chengguang ce jour-là. »
— « Je ne peux pas, mais il y a des gens qui le peuvent. Je peux faire venir ici tous ceux qui l’ont côtoyé cette nuit-là en deux heures. Il suffira d’un sac à main par personne. »

Le stylo de Luo Wenzhou frappa la table.

— «Tu sous-entends que tu comptes utiliser ton argent pour falsifier des preuves ? »
— « Quoi ? Quelques mannequins se parjurent, et tu crains que la crème de la police ne puisse pas leur arracher la vérité ? » Fei Du secoua la tête. « Non, je t'explique pourquoi Zhang Donglai ne peut pas être le meurtrier. »

Il se pencha en arrière, creusant la distance entre lui et Luo Wenzhou. D'une voix rauque et indolente, il dit :

— « Si c'était Zhang Donglai, il serait clairement imprudent de le faire lui-même. Il a tout le pouvoir de faire enlever la victime, puis de la tuer en secret. Quoi qu’il en soit, la population du district Ouest est éphémère : des dizaines de personnes disparaissent chaque jour sans dire au revoir. Si une personne disparaît, personne ne s’en apercevra. Même si quelqu’un le signalait à la police, il n’y aurait personne pour l’écouter.»

En entendant ce discours qui méprisait totalement la loi et l'État, Luo Wenzhou sentit ses mains le démanger ; il avait envie de donner une bonne raclée à cette ordure. Au prix d'un effort considérable, il résista. La pointe de son stylo déchira le papier, laissant un trou de colère.

— « Les tueurs ne sont généralement pas rationnels quand ils tuent. »
— « Oh, tu parles d'un crime passionnel. » Fei Du marqua une pause. « Outre la blessure qui a assommé la victime, y a-t-il eu un autre traumatisme contondant ? »
— « Qui est-ce qui questionne qui ? » demanda Luo Wenzhou.
— « On dirait que la réponse est “non” », dit Fei Du d'une voix relativement calme. « Lors d'un meurtre passionnel, les émotions du meurtrier éclatent, sa rage atteignant instantanément son paroxysme ; elle se déverse généralement elle aussi comme une éruption. Avec une victime inconsciente au sol, incapable de résister, on s'attendrait à voir sa tête écrasée comme une pastèque. Il a été étranglé ?

Il posa ses coudes sur les accoudoirs de la chaise, ses doigts soutenant son menton. Il sourit.

— « Étrangler quelqu'un est une façon longue et agréable de tuer ; parfois, cela a même ce genre⁽¹⁾ d'effet. Une personne si assoiffée qu'elle en a la gorge douloureuse accepterait-elle de s'asseoir et de siroter du thé ? Personnellement, je n'y crois pas. »

Luo Wenzhou avait une expression sévère.

— « Tu crois que tuer quelqu'un, c'est siroter du thé ? »
— « Ce n'est qu'une métaphore. »

Fei Du haussa les épaules, se concentrant sur le détail tout en évitant le plus important.

— « Zhang Donglai ne tuerait personne. Même s'il tuait quelqu'un, il ne jetterait pas le corps. Même s'il jetait le corps, il ne le jetterait pas dans les ruelles du quartier Ouest, qui lui sont totalement inconnues. Voilà mon analyse, d'un point de vue rationnel. Intuitivement, Zhang Donglai est un lâche invétéré. Lorsqu'il est en colère, il insulte tout au plus quelqu'un. Il n'a pas le cran de tuer. »

Depuis qu'il s'était assis, ce sont les seules phrases de Fei Du qui ressemblaient un tant soit peu à du langage humain.

Zhang Donglai était le fils du frère aîné du directeur Zhang. Enfant tardif, issu d'une famille aisée ; gâté, fragile et inutile. Luo Wenzhou l'avait croisé plusieurs fois ; il ne pensait vraiment pas qu'il ait le courage ou la force mentale.

Pour le reste, il devrait s'en remettre à l'enquête de la police. Il n'obtiendrait rien de Fei Du. Il ferma son carnet et se leva pour partir.

— « Hé !» Derrière lui, Fei Du l'interpella soudain.

Luo Wenzhou se retourna ; un petit objet fonça sur lui. Il tendit inconsciemment la main et l'attrapa, puis découvrit que le jeune homme lui avait lancé une clé USB.

— « Dans une affaire criminelle, plusieurs circonstances peuvent facilement attirer l'attention du public. » continua Fei Du. « Premièrement, l'ampleur de l'affaire. Par exemple, un attentat terroriste: c'est en gros titre partout. Deuxièmement, la méthode utilisée est particulièrement anormale et brutale. Un tueur en série qui se transforme en légende urbaine pittoresque : c'est une nouveauté. »

Toujours aussi calmement, il continua :

— « Troisièmement, la victime appartient à un groupe à faible risque. Par exemple, les étudiants et les salariés qui mènent une vie bien réglée, la classe moyenne respectueuse des lois. Résultat ? On suscite la panique du groupe par identification à la victime. Quatrièmement, un événement qui touche au cœur d'un conflit social profond et ancien. Comme les questions touchant aux droits publics, aux privilèges, aux déficiences morales de l'élite sociale. C'est un sujet qui fait toujours du buzz. Votre affaire ne concerne aucun de ces points, mais elle a, dès le départ, suscité une attention inhabituelle. »

Le tonnerre sourd, sur le point de se calmer, gronda indistinctement au loin, donnant à ses paroles une longue résonance.

— « Une fois l'attention temporaire passée, normalement, les gens auraient rapidement perdu intérêt. Mais maintenant, Zhang Donglai est également impliqué. »

Fei Du s'approcha de Luo Wenzhou ; en le frôlant, il murmura :

— « Est-ce une coïncidence, ou quelqu'un vous manipule ? »

Luo Wenzhou se renfrogna.

— « Pas besoin de me remercier. Je le fais pour Tao Ran. »

Le jeune CEO reprit son parapluie et partit sans un regard en arrière.

— « Fei Du », lança Luo Wenzhou,« c’est la semaine prochaine, non ? Sept longues années… Tu devrais vraiment repartir à zéro. »

Fei Du l'ignora. Il continua son chemin d'un pas égal, sans se retourner.

 

 

 

 

⁽¹⁾ Ce genre : Il fait référence au côté sexuel de l’étranglement/asphyxie, que ce soit en pratique consentie ou au plaisir pris par un éventuel meurtrier.

 

 

 


🕵️‍♂️ Récapitulatif de l’enquête chapitre 7

 

Nouveaux personnages :

🔸 Zhang Donglai : fils d’un entrepreneur local, neveu du directeur Zhang, présent au Manoir Chengguang le soir du meurtre, suspect potentiel mais analysé par Fei Du comme peu dangereux

Informations découvertes :

🔸 Zhang Donglai était présent au Manoir Chengguang la nuit du 20 avant la mort de He Zhongyi.
🔸 Conflit observé quelques jours avant la mort de He Zhongyi, avec attribution d’un téléphone portable comme « excuse officielle ».
🔸 Fei Du insiste sur l’absence de preuves directes impliquant Zhang Donglai comme meurtrier, en soulignant son caractère lâche et prudent.
🔸 Fei Du analyse également le contexte médiatique et la réaction sociale à l’affaire : l’implication d’un personnage du cercle social élitiste attire plus l’attention publique qu’une victime lambda.

Faits discordants :

🔸 Zhang Donglai pourrait apparaître comme suspect en raison de sa présence sur les lieux, mais son profil psychologique et social suggère qu’il est peu susceptible d’être le meurtrier.
🔸 L’interprétation des preuves et des témoignages peut être influencée par la médiatisation et la position sociale des personnes impliquées.

Connexions avec les chapitres précédents :

🔸 Suite de la piste autour de He Zhongyi et de ses relations, notamment la rencontre avec l’individu ayant offert le téléphone.
🔸 Confirmation de l’implication indirecte de Zhang Donglai via sa présence au Manoir Chengguang, lien avec les investigations de Tao Ran et Xiao Haiyang.

Pistes émergentes :

🔸 Vérifier les témoignages et preuves reliant Zhang Donglai au Manoir Chengguang, tout en restant critique sur sa capacité réelle à commettre un meurtre.
🔸 Continuer à explorer les implications du téléphone donné à He Zhongyi et la nature exacte du conflit.






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