Silent Reading : Chapitre 8 - Julien VIII

 

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Artiste sur Weibo :@恬小E

 

 

 

Wang Hongliang était dans la fleur de l'âge, mais une moitié de vie dissipée l'avait fait vieillir prématurément. La chair de ses joues pendait jusqu'au niveau de son menton. À première vue, il ressemblait à un Shar Pei ⁽¹⁾ conspirant la conquête du monde.

Il se pencha en avant, examinant le détenu Ma Xiaowei tout en tirant sur sa cigarette, recrachant sa fumée comme si les Portes du Ciel⁽²⁾ s’ouvraient en plein milieu de ce commissariat décrépit.

Ma Xiaowei était trop maigre, si mince que cela donnait à son visage un air maladroit, presque enfantin. Bien qu'il ait une cellule pour lui seul, tout son corps était tendu, ses yeux roulaient dans toutes les directions sans jamais se poser.

Wang Hongliang inclina la tête et le fixa du regard, s'adressant à l'homme à ses côtés :

— « Alors ils se sont faufilés entre les mailles et l’ont emmené au Commissariat Central ? »

Le chef de l'équipe d'enquête criminelle du sous-bureau se faisait à peine remarquer pendant une affaire. Ses ordres reposaient sur la tendance générale, et ses jugements sur son supérieur, tel un porte-parole qui transmettait les ordres d'en haut. Il tendit un cendrier et s'approcha pour recevoir le mégot du Directeur Wang.

— « C'est ce que Xiao Haiyang a rapporté. »
— « Je ne m'attendais pas à ça. Ça paraît à peine réel une telle coïncidence. »

Wang Hongliang rit aux éclats, découvrant ses dents mais pas ses yeux.

— « Pas étonnant que ma fortune m'ait prédit des obstacles, mais qu'une personne éminente pouvait parfois transformer un malheur en bénédiction. Ce talisman de Sérénité à trois mille yuans a fini par servir. Comme quoi, même dans ses bourdes habituelles, Xiao Haiyang peut être utile. »
— « Directeur Wang, que pensez-vous que nous devrions faire maintenant ? » demanda son subordonné avec déférence.
— « Luo Wenzhou a voulu aller trop vite. » Wang Hongliang lissa ses quelques mèches clairsemées. « Simplement parce que le principal suspect est le neveu du chef, on m’a arraché l’affaire des mains. »

Tout en parlant, il fit quelques pas, puis fit un signe de la main.

— « Peu importe. Laissez-les faire. Même ce petit Luo Wenzhou n’a pas peur qu’on l’accuse d’abus de pouvoir pour intérêt personnel. Qu’ai-je à craindre, moi ? Ce deuxième suspect prouve juste que cette affaire est bien plus tordue qu’on ne le pensait. Le corps a été déplacé après le meurtre. Et tout ce bazar ? C’est la faute de ceux qui ont embrouillé l’enquête avec leurs témoignages foireux. Les bruits qu’ils ont entendus ? Rien à voir. Qu’ils fouillent où ils veulent, au Manoir Chengguang ou ailleurs, tant que ce n'est pas chez nous. Nous, on les laisse patauger. On les soutient juste, histoire de garder un semblant d’ordre. »
— « Le directeur Wang est audacieux mais prudent », dit le chef d'équipe, léchant les bottes avec le sourire.

Puis il ajouta :

— « La prochaine fois, il faudra que vous me disiez où vous avez trouvé ce talisman. Il est vraiment efficace. »
— « Bien dit. Donne-leur mon nom, ils te feront un prix. »

Wang Hongliang tapota l'épaule de son subordonné.

— « Tu sais, à mon âge, on se rend compte que ne croire en rien ne fonctionne pas. Pour obtenir richesse et promotion, il faut compter sur le destin. » assura-t-il. « Sinon, j'ai entendu dire que la famille de la victime arrive bientôt ? Envoie-les aussi au Commissariat Central. »

Il se dirigea vers l'extérieur, puis soudain pensa à quelque chose, se retourna vers Ma Xiaowei et dit d'un air entendu :

— « Cet enfant, on dirait un gringalet, mais regardez-moi ce front large et ce menton arrondi, c’est un visage de bonne fortune.⁽³⁾ »

Le chef d'équipe ne comprenait rien, mais il ne le remarqua pas, s'exclamant :

— « C’est pour ça qu’il est béni ! »

Alors que tout le quartier du marché aux fleurs se perdait en considérations divines, un profond nuage de dépression pesait sur le Commissariat Central de Yancheng.

Tao Ran quitta la salle d'interrogatoire et expira longuement, s'appuyant contre le mur, las. Apparemment, Zhang Donglai avait eu une fièvre enfantine qui lui avait brûlé le cerveau et l'avait transformé en un véritable connard ; il fallait lui pardonner huit fois par minute pour pouvoir tenir une conversation. Tao Ran, à la patience d'ange, tenait bon ; une autre personne aurait déjà renversé les tables.

Luo Wenzhou l'attendait à la porte, une clé USB entre les doigts, qu’il faisait tourner machinalement. Xiao Haiyang, qui avait assisté à l’interrogatoire, paraissait un peu effrayé ; il gardait une distance prudente.

Le capitaine leva les yeux.

— « Alors ? »
— « Zhang Donglai dit qu’il était peut-être un peu pompette ce jour-là. Il a vu un jeune chômeur embêter sa petite sœur, l’a pris pour un délinquant, s’est énervé et l’a frappé. Après coup, il ne se souvenait plus exactement de qui il avait frappé. Je lui ai montré une photo de la victime, il a juste dit qu’elle lui semblait familière, mais sans certitude. Et selon lui, il ne s’est excusé officiellement auprès de personne ni offert de portable. Et je le crois, ce sale gosse n’a toujours pas compris que frapper les gens, c’est mal. »

Tao Ran se pinça l’arête du nez.

— « Bon, Fei Du est passé tout à l’heure ? »
— « Il est déjà parti », confirma Luo Wenzhou.

Puis, se souvenant de quelque chose, il lança un regard noir à son adjoint.

— « Ce petit con devient de plus en plus effronté. C’est entièrement ta faute, tu l’as trop gâté. »

Tao Ran resta sans voix, trouvant la remarque étrange.

Luo Wenzhou lui lança la clé USB.

— « Regarde ça, il pourrait y avoir quelque chose d’utile. »

Il la prit, perplexe.

— « Qu’est-ce que c’est ? »
— « Je ne sais pas, mais je suppose que ce sont les vidéos de surveillance du Manoir Chengguang. » Luo Wenzhou observa l’irascible Zhang Donglai à travers la caméra. « J’ai rencontré sa sœur. Elle a l’air plutôt normale. Appelle-la pour vérifier si ce que dit son frère tient la route. Je vais parler au Directeur Zhang. »

Mais une fois dans le bureau de son supérieur, le capitaine Luo trouva quelqu’un d’autre à sa place.

Un homme corpulent leva les yeux et hocha la tête avec cordialité.

— « Te voilà. »

Il avait à peu près le même âge que le Directeur Zhang. Une vieille cicatrice barrait son sourcil droit, du front jusqu’au-dessus de la paupière, mais il ne paraissait pas féroce. Tout en lui respirait la bienveillance.

— « Directeur Lu ? », s’exclama Luo Wenzhou, surpris.

Lu Youliang⁽⁴⁾  était le second de Zhang. Policier criminel chevronné depuis de nombreuses années, il avait résolu d’innombrables affaires majeures et arrêté de dangereux criminels à une époque où la technologie n’en facilitait encore aucune. C’était une légende du commissariat de Yancheng ; aussi abrasive que soit une personne, elle devait se contenir devant lui.

— « Oui. Pour l’instant, dis-moi tout ce que tu sais. Lao-Zhang s’est effacé pour éviter les soupçons. » Il secoua la tête. « Que cherchais-tu en l’amenant ici ? Tu comptes utiliser ton autorité pour le protéger, ou bien planter un panneau disant : rien n’est caché ici, surtout pas trois cents pièces d’argent, vous pouvez fouiller à loisir⁽⁵⁾ ? »

Le Directeur Lu soupira et pointa le capitaine du doigt.

— « Wenzhou, tu es doué, mais un peu trop impulsif. Si jeune, et déjà beaucoup trop rusé. »

Luo Wenzhou ne laissa transparaître aucune émotion. Il fixa le couloir vide, puis referma la porte avec prudence.

— « Oncle Lu. »

Le directeur se figea.

— « Il y a un policier du sous-bureau en bas, Xiao Haiyang », murmura Wenzhou. « Dans son rapport, il évoque que ce n’est peut-être pas la scène de crime initiale. Normalement, ce type d’observation relève de l’expertise. Wang Hongliang l’a d’ailleurs repris devant moi. Sur le moment, j’ai juste noté sa façon de voir les choses. »
— « Je ne comprends pas très bien où tu veux en venir », rétorqua son supérieur, le visage grave.
— « Le Directeur Zhang m’a envoyé enquêter sur Wang Hongliang. Selon un informateur, je le suspecte de collaborer avec les trafiquants du Marché aux Fleurs. »

Le Directeur Lu fronça les sourcils.

— « Leur sous-bureau est très actif dans la lutte antidrogue. »
— « Ouais. Comme par hasard, ils ont toujours des infos exactes qui mènent toutes à une arrestation. »

Luo Wenzhou enchaîna précipitamment :

— « Mon indic' affirme qu’ils ont un réseau de trafiquants “agréés”. Si tu n’es pas dedans, tu mets un seul pied dans le quartier, boom tu finis arrêté ! »
— « Des preuves ? » demanda le directeur Lu.
— « Je suis en train de les rassembler », répondit Luo Wenzhou, toujours aussi vite. « Hier, des riverains ont entendu une dispute vers 21 h. Wang Hongliang a arrêté un adolescent présent sur place. Il est maigre, le regard paniqué. Son témoignage est incomplet, il prétend n’avoir rien vu autour. On a maintenant des indices que le corps a été déplacé après le meurtre. Si la dispute n’était pas liée à l’affaire, pourquoi n’a-t-il pas parlé ? Et Xiao Haiyang, pourquoi m’a-t-il laissé entendre que ce n’était pas la scène initiale ? Pouvait-il le savoir dès le début ?»

Le directeur Lu se leva et fit quelques pas en cercle, silencieux.

— « Oncle Lu, cette affaire est complexe. Deux enquêtes semblent se croiser. Si Tao Ran et Xiao Haiyang n’avaient pas retrouvé Zhang Donglai, Wang Hongliang aurait exagéré et nous aurait forcés à nous retirer. L’adolescent ? Mort demain, son témoignage réduit à un délire de toxicomane, et le meurtrier serait considéré comme un fuerdai arrogant. »
— « Que comptes-tu faire ? »
— « Pour l’instant, traiter Zhang Donglai comme principal suspect. Tant qu’il croit que nous détournons notre attention, Wang Hongliang nous laissera gérer l’homicide. »

L'équipe principale d'enquête criminelle travailla tard sur les images de surveillance fournies par Fei Du.

Après de longues heures à trier les images, Luo Wenzhou rentra chez lui. À peine la porte ouverte, un « miaou » retentit. 

Il repoussa doucement du pied le chat.

— « Pourquoi tu miaules ? Je n'ai pas encore mangé non plus… hein ? »

Dans sa boîte aux lettres, un nouveau colis attira son attention. Il le prit et examina l’étiquette où son nom était écrit d’une main familière.

À l’intérieur se trouvait un sac de preuve scellé contenant plusieurs mégots de cigarette, l’odeur de tabac encore intacte lui piqua les narines.

 

 

 


 Comme je trouve ce chapitre court (et pour me faire pardonner de la pause Top Edge), je partage 2 chapitres aujourd'hui. 

On se retrouve lundi avec le chapitre 51 de Top Edge. 

 

  1. Shar Pei : (chinois : 沙皮 ; pinyin : shā pí ; cantonais Jyutping : saa pei ; litt. « peau de sable ») Parfois écrit Shar-Pei ou sharpeï. Une race de chien d’origine chinoise, reconnaissable à sa peau ample qui retombe en plis.

  2. Portes du Ciel : En VO, Portes méridionales du Ciel (南天门, Nántiānmén) est utilisé. Dans la mythologie chinoise, il s’agit de l’entrée principale du royaume céleste, orientée vers le sud, gardée par des divinités. L’expression est souvent employée de manière imagée pour décrire des visions grandioses du ciel ou des nuages. Ici, Priest fait une comparaison : la fumée de cigarette est décrite comme une version locale et miniature de ces fameuses Portes du Sud du Ciel (南天门), donc un effet grandiose mais appliqué à une scène banale et enfumée. C’est ironique et visuel.

  3. Visage de bonne fortune: Dans les croyances traditionnelles chinoises de lecture du visage (相面, xiàngmiàn), certains traits sont censés prédire la destinée : un front large et un menton arrondi sont considérés comme des signes de bonne fortune.

  4. Lu Youliang : son prénom « Youliang » (友/有 + 良, « bon/vertueux ») signifie « bonne personne ». 有良 (yǒu liáng) signifie "avoir de la bonté/vertu", tandis que 友良 (yǒu liáng) signifie "ami vertueux". Les deux lectures sont possibles sans le caractère écrit, mais le sens global ("bonne personne") est préservé.

  5. Rien n’est caché ici, surtout pas trois cents pièces d’argent : Allusion classique : Zhang San enterre de l’argent et met un panneau « Ici ne sont PAS enterrées trois cents pièces d’argent ». Son voisin Wang Er vole l’argent et laisse un panneau « Wang Er d’à côté ne l’a PAS volé ». Autrement dit : un camouflage qui attire l’attention.

 

 

 

🕵️‍♂️ Récapitulatif de l’enquête — Chapitre 8

Personnages :

🔸 Lu Youliang : second de Zhang, policier criminel expérimenté et respecté, chargé de superviser Luo Wenzhou et son enquête
🔸 Ma Xiaowei : détenu mince et nerveux, colocataire de la victime, trouvé en possession du téléphone de celle-ci.
🔸 Zhang Donglai : principal suspect, présence au Manoir Chengguang, comportement impulsif et confus

Informations découvertes :

🔸Wang Hongliang reconnaît que l’affaire est plus compliquée que prévu et semble manipuler ou contrôler l’accès aux informations pour garder le pouvoir.
🔸 L’adolescent témoin dans le Marché aux Fleurs est maigre et effrayé, son témoignage est fragmentaire. Il pourrait fournir des indices sur le déplacement du corps.
🔸 Zhang Donglai n’a pas de souvenirs clairs de l’incident et ne confirme ni excuse ni remise de téléphone à la victime, rendant sa responsabilité directe incertaine.
🔸 Fei Du a fourni des images de surveillance, désormais en cours d’analyse par l’équipe principale.
🔸 Indices suggèrent que la scène de crime initiale n’était peut-être pas celle observée par Wang Hongliang, ce qui complique l’enquête.
🔸 Luo Wenzhou soupçonne le sous-bureau de collaborer avec des trafiquants « agréés », ce qui pourrait influencer la direction des arrestations et des preuves.

Faits discordants :

🔸 Wang Hongliang agit avec prudence mais laisse penser qu’il pourrait contrôler l’enquête ou protéger certains individus.
🔸 Le témoignage de l’adolescent est incomplet et pourrait être manipulé ou interprété à tort.
🔸 Les indices sur le déplacement du corps et la scène initiale soulèvent des doutes sur la chronologie et l’intégrité de l’enquête.

Connexions avec les chapitres précédents :

🔸 Confirmation de l’implication indirecte de Zhang Donglai et poursuite de la vérification de son alibi.
🔸 Renforcement de l’idée que Fei Du fournit des éléments extérieurs qui influencent l’enquête et permettent à Luo Wenzhou de garder le contrôle.
🔸 Mise en évidence d’un potentiel conflit d’intérêts ou de corruption au sein du sous-bureau, introduisant une nouvelle dimension à l’affaire.

Pistes émergentes :

🔸 Vérifier l’intégrité des informations et des indices transmis par le sous-bureau et Wang Hongliang.
🔸 Poursuivre l’analyse des images de surveillance pour confirmer ou infirmer la présence et les actions de Zhang Donglai et des témoins.
🔸 Identifier d’éventuelles manipulations des preuves ou des témoignages liés au Marché aux Fleurs et au déplacement du corps.
🔸 Évaluer les implications de la famille de la victime et de son témoignage potentiel sur l’enquête.

 


 

 

 

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