Top Edge : Chapitre 55 - Le destin, évidemment, trouva ça trop simple
Au sommet de l’Arbre de Vie, dans le bureau privé de Miller, les nuages blancs derrière la vitre avaient l’air ternes, bien moins éclatants que les hologrammes de végétation et d’eau du lac.
Il reposa son stylet et leva les yeux vers Moran, debout devant son bureau.
— Le capitaine Shen n’a pas trouvé Amor ?
— Non, répondit le colonel en s’inclinant légèrement. Le professeur Amor est probablement en grand danger.
Miller poussa un long soupir et s’adossa à son siège.
— Dites au capitaine Shen de me faire son rapport en personne.
— Très bien, il devrait arriver d’un moment à l’autre, répondit Moran après avoir vérifié l’heure sur son poignet.
Puis il changea brusquement de sujet :
—
Général, nous devons d’abord le tester, pour être sûrs qu’il n’a subi
aucun changement après sa mission dans les niveaux inférieurs.
— Vous avez peur qu’il nous trahisse encore ?
Miller fronça les sourcils, agacé.
— S’il y a un autre problème, inutile de poursuivre cette expérience.
— Oui, Général, répondit Moran, le dos encore plus courbé.
⸻
L’aéronef se posa sur l’esplanade du laboratoire, et les chercheurs qui attendaient là transportèrent le capitaine Shen Siwei sur une civière à l’intérieur.
Bien que celui-ci fût resté conscient durant tout le trajet, il feignit de dormir, gardant son cerveau en état d’inactivité.
Après un examen complet, les chercheurs quittèrent la pièce. Il ne resta que le Dr Chen, assis devant son poste, enregistrant son journal de travail face à la caméra. Au bout d’un moment, la porte élévatrice s’ouvrit et Moran entra.
— Colonel, fit le Dr Chen en se levant précipitamment.
— Comment va-t-il ? demanda Moran en s’approchant de la capsule de survie.
— Tout est normal. Aucun dysfonctionnement cette fois, répondit le
scientifique en réajustant ses lunettes. Souhaitez-vous que nous
commencions la réparation de son système cardiopulmonaire ?
— Pas encore.
Moran contourna la capsule, ôta ses gants et fit glisser son index le long de la joue de Shen Siwei.
— Réveillez-le. Je dois lui poser quelques questions.
— Très bien.
Le Dr Chen se pencha sur le panneau de contrôle et appuya sur plusieurs touches. La puce de contrôle dans le cerveau de Shen Siwei reçut aussitôt la commande de réveil. Il cligna des yeux et ouvrit lentement les paupières. Dans son champ de vision apparut le visage soucieux de Moran ; un visage sur lequel ses faux souvenirs et les vrais se superposaient encore, le plongeant un instant dans la confusion. Il se redressa et observa les lieux.
— Où suis… Le laboratoire ?
— Oui. Tu devais être fatigué, tu t’es endormi en route, répondit son supérieur en se penchant comme pour le porter.
Malgré le dégoût qui lui brûlait le ventre, Shen Siwei leva docilement le bras et passa son autre main autour de son cou.
—
Concernant ta mission dans les niveaux inférieurs, tu as autre chose à
signaler ? demanda Moran en l’installant sur une chaise.
— Non, répondit le capitaine en secouant la tête, avant d’ajouter naturellement : Où est mon masque ?
—
Oh, il a été amélioré, lâcha Moran avec désinvolture avant de reprendre
aussitôt : Tu es resté plusieurs jours dans la Tour Technologique sans
trouver la moindre trace d’Amor ?
Il ajouta, sous-entendu transparent :
— Au début, pourtant, tu progressais très vite.
Shen Siwei comprit le message.
Tout allait trop bien au départ, et il avait presque trouvé la Tour sans perdre de temps. Mais rester bloqué là-bas pendant plusieurs jours… oui, ça attirait l’attention.
— Pour être honnête, les pistes ont disparu dès mon arrivée dans la Tour, dit-il en baissant la tête d’un air dépité. Mais je n’arrivais pas à renoncer. Je voulais absolument continuer à chercher.
Son jeu d’acteur semblait suffire : Moran se détendit à moitié.
— Je comprends. Après avoir dormi si longtemps, c’est normal de vouloir bien faire pour ta première mission.
— Hmm.
—
Ne te force pas s’il est introuvable, dit le colonel en remettant une
mèche sur le front de Shen Siwei. Le général Miller veut ton rapport en
personne. Repose-toi ce soir, demain nous irons ensemble au dernier
étage.
Shen Siwei s’y attendait peu.
Quand il avait découvert que Moran avait emmené Amor sans jamais le signaler à Miller, sa première réaction avait été d’aller en informer le général lui-même : avec son autorité, faire craquer Moran pour retrouver Amor serait un jeu d’enfant. Mais il n’avait pas réussi à le contacter. Et voilà que le colonel, de lui-même, voulait l’emmener devant Miller.
Une aubaine. Une fois les faits exposés, Amor serait hors de danger.
Par contre, les choses risqueraient de partir en vrille, alors, il devait récupérer ses souvenirs depuis le centre de contrôle, et trouver la moindre information sur Avis, dans la nuit.
Il ne lui suffit que d’une seconde pour tout envisager. Puis il hocha simplement la tête.
— D’accord.
— Je vais faire apporter ton masque, dit Moran en frottant son épaule. Attends-moi ici.
Tout devenait presque trop facile. L'homme ne semblait pas se méfier, et comptait même lui rendre son masque, autrement dit, ses capacités de combat.
Le destin, évidemment, trouva ça trop simple.
L’ascenseur s’ouvrit et un chercheur entra, masque en main. À deux pas à peine. Mais Moran ajouta soudain :
— Ah, au fait, l’un des membres m’a dit que quelqu’un t’avait appelé pendant le retour.
Les nerfs de Shen Siwei se tendirent instantanément. Pour gagner quelques secondes, il ralentit volontairement sa réponse, le temps que le chercheur approche.
— C’était un numéro inconnu. Je n’ai pas répondu.
— Vraiment ? dit Moran sans montrer de méfiance. Montre-moi le numéro.
Shen Siwei avait déjà supprimé appel et message. Il ne pouvait pas éviter de répondre, mais il pouvait rester calme.
— Ça ressemblait à un démarchage commercial. J’ai supprimé.
— Tu l’as supprimé ? Moran arqua un sourcil, un doute apparaissant.
Il fit signe au chercheur de s’arrêter et demanda :
— Pourquoi tu l’as supprimé ?
Le silence devint tranchant. Shen Siwei estima la distance entre lui et le chercheur : Trop loin à cause de Moran au milieu.
— Je ne veux personne d’autre que toi dans mon communicateur.
En apparence, Shen Siwei et Moran formaient encore un couple. Il devait insister là-dessus. Mais Moran sembla brusquement plus lucide que d’habitude.
— Tu vas encore dire ce genre de choses ?
— Pourquoi pas ? répondit Shen Siwei sans sourciller.
— Avant la mission, tu ne voulais même pas aller observer les étoiles avec moi.
Il tapait juste. Shen Siwei n’était pas du genre démonstratif. Peut-être que Klet avait desserré quelque chose en lui sans qu’il s’en rende compte.
— Après être descendu, j’ai réalisé que je n’aimais pas être seul, improvisa-t-il.
La distance qui le séparait du masque devenait un gouffre. Moran fit signe au chercheur de repartir ; le masque s’envola, littéralement.
— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-il en maîtrisant sa panique.
— Tu ne me rends jamais les choses faciles, soupira le colonel. La
dernière fois déjà, en bas, il y avait des messages de quelqu’un dans
ton communicateur. Et cette fois ? Tu es devenu plus malin ?
Shen Siwei ne savait pas si Moran bluffait ou s’il avait réellement percé quelque chose. Il continua à jouer l’imbécile.
— Quelle dernière fois ?
Moran scruta son visage longuement, à la recherche du moindre signe. Puis, sans conclure, il leva le menton vers le Dr Chen.
La commande « sommeil » réapparut. Shen Siwei dut relâcher tout son corps et pencher la tête comme s’il s’éteignait.
— Tu trouves son attitude louche ? demanda Moran en le remettant dans la capsule.
— Oui, répondit le Dr Chen en projetant une vidéo : J’ai vérifié
l’enregistreur de l’aéronef. Après l’appel, il a manipulé son
communicateur un moment, sûrement pour envoyer des messages.
— Tch. Faites récupérer les logs par les communications.
— C’est fait. Numéro anonyme. Aucune piste.
— Donc, il a retrouvé la mémoire ?
Le ton de Moran vira vers la colère :
— Qu’est-ce qui ne va pas dans vos recherches ? Pourquoi ça échoue sans arrêt ?
— Je l’ignore, répondit le Dr Chen en accédant au module de mémoire.
Ses souvenirs manquants sont bien stockés ici. Aucune perte de données.
— Alors qu’est-ce qui cloche ?
— Difficile à dire pour le moment. Il me faudrait du temps.
— Et si on n’en avait plus ? gronda Moran. Il contacte des gens dans
mon dos. C’est une preuve de rébellion. Pas besoin d’enquêter.
Réinitialisez-le.
Le Dr Chen hésita.
— Le… réinitialiser ?
— Vous avez une meilleure idée ?
— D’accord… Et le général Miller ?
— Je le mettrai au courant. Le capitaine Shen pourrait nous trahir
encore une fois. Quant à savoir si le projet continuera… on verra ce
qu’il décide.
— Et s’il veut tout arrêter ?
— Cela ne vous empêche pas de lancer la réinitialisation maintenant.
À cet instant seulement, Shen Siwei comprit : ses souvenirs étaient bien stockés dans le serveur central. Mais un autre souci le rongeait : la puce allait-elle l’empêcher d’échapper à un “reboot” total ?
La réponse vint aussitôt : non.
Le programme de réinitialisation se lança et rien ne se passa dans son cerveau. Il restait pleinement conscient.
⸻
Le reboot durerait six heures.
Deux heures plus tard, le Dr Chen éteignit les lumières et quitta le laboratoire. Dans le vaste espace, Shen Siwei restait seul. Les caméras, elles, fonctionnaient. L’infrarouge captait tout. Si quelqu’un surveillait en direct, le moindre geste serait visible. Mais les gardes ne devaient pas observer spécifiquement cette salle. Et de toute façon, selon Moran, il était censé dormir.
Agir plus tard ou plus tôt revenait au même : le risque existait.
Il ne lui restait que la chance.
Mobilisant chaque fibre de son corps, Shen Siwei rampa hors de la capsule et s’immobilisa dans un angle mort. Puis, respirant fort, il continua vers le centre de contrôle. Ce n’étaient que quelques mètres seulement, mais les parcourir à quatre pattes l’épuisait. Caché derrière la console, il débrancha l’écran du serveur et connecta celui-ci à son micro-ordinateur. Une fois cela fait, il rampa de nouveau jusqu’à l’angle mort derrière la capsule, puis lança le transfert de données à distance.
Retrouver le module mémoire fut simple : quelques dossiers à ouvrir, et le bon apparut
À partir de là, tout se déroula sans accroc. Les fragments de mémoire affluaient dans sa tête, en rafales longues ou courtes.
Il reconstituait enfin les pièces du puzzle.
Jusqu’à ce que des pas familiers retentissent à l’extérieur.
Moran.
Pourquoi revenait-il ?
Shen Siwei n’eut pas une seconde. Il atteignit la capsule au moment où la porte se rouvrait.
Moran n’alluma pas la lumière. Il marcha directement vers lui. Ses pas, cette fois, n’avaient plus la même assurance. Ils étaient retenus, prudents. Le garde avait-il vu quelque chose ? Une anomalie sur les caméras ?
Pourquoi Moran se comportait-il comme un voleur ?
Avait-il… jamais quitté les lieux ?
Les souvenirs continuaient de défiler dans l’esprit de Shen Siwei, tandis que la barre de progression avançait :
75%… 78%… 85%… 90%…
À mesure que les chiffres grimpaient, Moran approchait. S’il inspectait la console, il verrait l’écran noir, preuve que le moniteur était débranché. Il suffirait qu’il reconnecte le câble pour découvrir la vérité : le module mémoire était en train d’être transféré, et le processus touchait à son terme.
Le cœur de Shen Siwei battait si fort qu’il en avait mal. Il pria mentalement pour que le transfert se termine plus vite.
Mais au moment où la barre afficha 99%, les pas de Moran s’arrêtèrent juste devant la console centrale.
Désolée de ne pas avoir posté lundi. J'ai quelques petits soucis en ce moment donc je n'étais pas en état. Mais j'essaye de poster le chapitre 56 demain ou au pire vendredi pour qu'il y ait quand même deux chapitres cette semaine, comme d'habitude.
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Aaaaah mais c'est horrible de nous laisser sur cette fin 😱
RépondreSupprimerJe plaide coupable
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