Top Edge : Chapitre 56 - Les plans, c’est bien, la réalité, c’est pire.
Dans l’obscurité, la lumière de l’écran était aveuglante. Après s’être arrêté devant la console, le colonel se dirigea droit vers Shen Siwei.
En un éclair, les chiffres dans son esprit bondirent de 99 % à 100 %. Les souvenirs perdus, fragments longs ou courts, s’imbriquèrent enfin pour combler le vide. Mais il n’eut pas le luxe d’y plonger : toute son attention restait braquée sur les mouvements de Moran.
Les pas s’arrêtèrent enfin près du caisson de survie. Une seconde plus tard, deux bras le soulevèrent à l’horizontale. Il entendit Moran, haletant d’excitation, murmurer :
— Tu sais combien de temps j’ai attendu ce jour ?
Dans sa voix tremblante vibrait une pointe de folie que Shen Siwei n’avait jamais entendue.
Il feignit toujours le sommeil, mais son esprit fouillait déjà le passé. Il comprit que la fois précédente, Moran avait déjà joué le rôle de son amant.
Était-il vraiment nécessaire de réutiliser le même mensonge ?
Des images défilèrent sans contrôle : la femme en rouge, effondrée dans son sang vingt-cinq ans plus tôt ; lui-même, devenu fou cinq ans auparavant, massacrant les pilotes de l’aéronef.
Une vague de colère le traversa, brisant sa respiration régulière. Heureusement, Moran continuait à monologuer, aveugle à son trouble.
— Tu es un échec. À chaque mission, tu désobéis. À quoi bon te modifier encore ? Ce type, le Dr Chen, n’est pas fiable. Il promet toujours qu’il peut te contrôler, mais il foire tout et refuse d’abîmer ton cerveau. Ses modifications ne correspondent pas du tout à mes exigences.
Les portes du couloir s’ouvrirent l’une après l’autre. Moran transporta Shen Siwei jusqu’au passage d’évacuation.
— La plus brillante de mes idées, c’était de lui faire ajouter des particules de pigment dans ton corps. Je peux ainsi changer ton apparence comme bon me semble. Ton caractère est toujours insoumis, pas du tout à mon goût, mais tant que je peux te contrôler, ça n’a pas d’importance.
Shen Siwei se calma peu à peu. Il se rappela que, la dernière fois qu’on l’avait ramené, Moran avait dit vouloir le garder comme jouet mais que, comme il appartenait à l’armée, c’était impossible.
Après une autre porte, la température chuta brusquement, et l’oxygène se raréfia. Il sentit immédiatement la suffocation. Il ne se trompait pas : le colonel l’avait emmené sur le toit du centre de recherche. À six mille mètres d’altitude, ses poumons ne tiendraient pas longtemps.
Ses sourcils se froncèrent malgré lui, le réflexe de manque d’air impossible à masquer.
Moran accéléra le pas.
— T’en fais pas, chéri. Je t’emmène jusqu’à l’aéronef.
Il l’installa sur le siège du copilote et Shen Siwei comprit sans l’ombre d’un doute qu'il était venu le kidnapper dans son sommeil.
— On ne sera pas détectés : la maintenance des caméras commence ce soir, dit Moran en lançant les systèmes de vol. Je vais d’abord te ramener à la maison. Ensuite je reviendrai arranger la mise en scène de ta fuite.
La température remonta, l’oxygène aussi. Shen Siwei retrouva peu à peu son souffle.
Inerte contre le dossier, il évaluait la situation. Moran n’avait pas été alerté par un garde. Il connaissait simplement l’heure exacte de la maintenance des caméras, et en avait profité pour agir. Il voulait "fuir" en se faisant passer pour lui, mais comme le plan était risqué, il l’avait d'abord emmené ailleurs avant de retourner truquer la scène.
Les plans, c’est bien. La réalité, c’est pire. Shen Siwei n’aurait jamais imaginé un coup pareil.
L’aéronef s’éloignait du laboratoire, et Moran, soulagé, relâcha complètement son excitation contenue.
— Tu sais, mon cher ? Je suis un véritable génie !
Il l’écoutait, impuissant.
— Je n’avais aucune inquiétude à t’envoyer en mission. Si tu me trahissais, c’est que tu étais un raté complet et j’avais le droit de te recycler. Si tu ne me trahissais pas, c’est que tu étais enfin obéissant. Dans tous les cas, tu restes à moi.
Shen Siwei comprit soudain que la confiance de Moran n’avait jamais reposé sur les travaux du Dr Chen. Pour le colonel, trahi ou non, cela ne changeait rien : il pouvait toujours le récupérer via la puce de contrôle et la géolocalisation.
Son destin dépendait seulement de la manière dont l'homme voulait le posséder.
— Si j'avais dû choisir, j'aurais préféré quand même la seconde option, reprit Moran. J’aime qu’on m’obéisse. Surtout toi, qui n’écoutes jamais rien. Te voir docile devant moi… serait un vrai plaisir.
Si Shen Siwei n’avait pas retrouvé la mémoire de Sara et de l’explosion cinq ans plus tôt, il n’aurait pas été aussi furieux. Mais les images de sang sous la pluie, la fumée, le carnage… tout cela attisait sa rage. Il eut l’envie brutale d’écraser la microcapsule entre ses molaires et d’envoyer Moran rejoindre les morts. Mais Amor et Avis étaient toujours introuvables. Il ravala l’impulsion, et continua d’écouter.
— Je pensais que cette fois, le Dr Chen avait enfin réussi son travail, mais non : tu n’en fais toujours qu’à ta tête. Te rendre obéissant est impossible. J’ai abandonné. Autant t’ajouter à ma collection. Que ton caractère soit désagréable importe peu, tant que ton apparence correspond à mon goût.
Sa… collection ?
Un frisson traversa Shen Siwei. Mais il n’eut pas le temps d’y penser : son kidnappeur souriait.
— On est arrivés, chéri. On est à la maison.
L’aéronef se posa dans le garage de la villa. Moran le porta encore, descendit un escalier, puis un autre. Une vérification biométrique, un ascenseur, et encore des marches. Une cave, donc.
S’il avait une cave, c’est qu’il cachait des choses.
Enfin, Moran le déposa dans une pièce, alluma une lumière trop vive, puis posa Shen Siwei sur un lit moelleux. Sa main lui caressa la joue.
— Je retourne détruire la console centrale. Comme ça, ton signal et ta localisation disparaîtront. Quand je reviendrai, tu m’appartiendras entièrement.
La porte se referma. Silence.
Shen Siwei attendit dix bonnes minutes avant d’ouvrir les yeux.
Une chambre blanche. Un lit. Une table. Une penderie remplie d’un bric-à-brac textile improbable : uniformes, cosplay, même des vêtements féminins.
Donc Moran avait préparé tout ça pour lui ?
Un frisson glacé remonta sa colonne.
Il consulta rapidement son communicateur : signal quasi inexistant. Si Moran était revenu détruire le central, c’en serait fini de toute possibilité de contact extérieur. Il inspira profondément, s’approcha de la porte. Un verrou électronique banal, comme dans les niveaux inférieurs. Il ferma les yeux, reprit son souffle puis abattit son poing sur le clavier. Le boîtier enfoncé grésilla, et la porte s’ouvrit.
Souvenirs revenus = puissance décuplée. La preuve.
À moitié effondré hors de la pièce, il respira avec peine, vérifia le signal : un peu meilleur.
Il appela Klet. La tonalité retentit une fois avant qu’une voix tendue réponde :
— Shen ?
— Ha… ha…
— Tu vas bien ? Pourquoi tu halètes comme ça ? Et où est ton masque ?
Klet enchaînait les questions ; Shen Siwei ne savait par laquelle commencer. Après avoir repris un semblant de souffle, il murmura :
— Ça va.
Klet expira, soulagé.
— Qu’est-ce qui se passe ?
— Je peux perdre le signal d’une seconde à l’autre… Mes souvenirs sont revenus… Tu n’as plus à t’en faire…
— Tu te souviens de moi ?
— Mm. Qui est le gorille, à ton avis ?
Un silence gêné.
— Euh… hum… Quand t’es essoufflé comme ça, cache-toi. C’est dangereux si on te voit.
Merci, mais ça, il le savait.
—
Moran va revenir couper mon signal, dit Shen Siwei. J’ai peut-être un
moyen de retrouver Amor. Si je peux contacter Miller à travers lui,
Moran ne sera plus un problème.
— D’accord. Fais attention.
— Et…
— Quoi ?
— Rien. Attends-moi.
À cet instant, le signal disparut. Plus de réseau, plus de micro-ordinateur. Moran était retourné au laboratoire.
Shen Siwei s’agrippa au mur pour se relever. Il n’avait plus beaucoup de temps.
Pour me faire pardonner et comme j'ai un peu de temps, je publie 2 chapitres aujourd'hui. Du coup ça fera 3 pour la semaine. Chapitre 57
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