Le poids des châteaux de sable - Partie 1
Auteurice : Mars Summers
Genre : Romance - Histoire courte - Coming-Out - 18+
Contenu explicite : Oui
Tags : Amis à amants - Déclaration - Première fois avec un homme
Résumé : [Un homme blessé, perdu, qui en tête à tête avec un ami
précieux, sur une île, découvre qu'il est amoureux, comprend l'importance des
châteaux de sables et de leurs trésors dévoilés lorsqu'ils s'effondrent.]
☞ ⚠️Warning : Consommation de plantes/fleurs comme psychotropes. En gros, c'est comme s'ils fumaient de l'herbe. Mais ici, tout est inventé, comme je le fais généralement lorsque j'utilise des drogues dans mes histoires.
Tamim Bonachera avait tout perdu.
Cela pouvait sembler exagéré ou ridiculement dramatique, mais il avait tout perdu.
Tout perdu, puis tout reconstruit. En repartant de presque rien, luttant contre celui qu'il avait été, pour trouver celui qu'il voulait être. Il avait déjà tout perdu une fois et à cet instant précis, il se demandait s'il serait prêt à tout perdre à nouveau. À voir encore tout s'effondrer, en gardant l'envie de se battre et de rebâtir au milieu des ruines.
C'était stupide d'y penser maintenant, alors que tout allait bien. Alors que tout allait enfin mieux. Mais la présence de Micah le poussait toujours à se questionner.
Pendant longtemps, il avait voulu être le meilleur, le plus cool. Aujourd'hui, il voulait être heureux. Il voulait pouvoir se regarder dans le miroir et s'y reconnaître. Apprécier son reflet et ne pas avoir honte de celui qu'il était. Et il l'avouait, il voulait aussi être à la hauteur de ce que Micah voyait en lui. De ce qu'il voyait même à l'époque où le monde entier, lui le premier, le considérait comme un insupportable et arrogant égoïste.
Micah était le premier à lui avoir dit qu'il valait mieux que ça.
Sur le moment, Tamim l'avait mal pris, presque comme une provocation ou une insulte. Mieux que l'argent et la gloire ? Il s'était senti attaqué, méprisé. Mais, dans le fond, une petite partie de lui avait compris, l'enrageant davantage que le sentiment d'être insulté ou moqué.
Il était au sommet, un dieu du rap, lorsque Micah galérait encore avec son petit groupe de rock. Et au fond du trou, lorsque ce dernier avait, pour certains, atteint le statut de légende vivante. Aujourd'hui, Micah était en pause, à la retraite, comme il s'amusait à lancer parfois sur les réseaux sociaux et lui, était enfin un artiste qui mettait son âme et ses tripes dans sa musique.
Gérer sa propre agence était épuisant, mais Misae et Lovis étaient toujours là, partageant le poids des responsabilités et le stress. Il n'aurait jamais cru que des gens, surtout des artistes avec une carrière encore propre, entachée par aucun scandale, fonderaient un label avec lui. Au début, il s'était montré méfiant, mais à force, les deux amis avaient su gagner sa confiance, puis son amitié.
Micah avait aidé, évidemment. Micah aidait toujours.
C'était lui qui avait fait entrer le duo dans sa vie de toute façon. Lui qui n'avait pas directement proposé de l'argent, lorsqu'il peinait à trouver les fonds pour son projet, sachant qu'il n'accepterait jamais, mais qui lui avait présenté les bonnes personnes pour s'en sortir, sans être seul, mais en ne dépendant de personne. Tamim savait qu'il y serait arrivé sans lui, son ami le lui répétait bien assez souvent. Mais il n'avait pas envie d'imaginer une vie où Micah ne serait pas là.
À l'époque, leurs interactions étaient pleines d'animosité de sa part, ne supportant pas que l'autre le regarde toujours comme s'il attendait quelque chose de mieux, non pas de lui, mais pour lui. Il détestait l'impression d'être un gosse décevant quelqu'un de précieux, à chaque fois qu'il croisait le regard de Micah. Il était en guerre. Une guerre à sens unique qui ne faisait qu'attiser son animosité.
Aujourd'hui, il osait plus facilement avouer que l'attention de Micah était quelque chose qu'il désirait, recherchait même, déjà par le passé.
Il l'avouait, mais ne s'attardait jamais trop non plus. Parce qu'il était peut-être plus sincère, mais pas encore entièrement, et qu'il y avait des parties de lui qu'il n'était pas sûr de pouvoir pleinement accepter et partager. C'était peut-être pour ça, qu'il se demandait soudain s'il pourrait tout reconstruire à nouveau. Peut-être pour ça qu'il songeait déjà à la fin.
Les choses et les relations étaient éphémères, il l'avait réalisé lorsque son premier château de sable, recouvert par des dorures tape à l'œil, s'était effondré. Tout le monde avait une voie à suivre, des rêves pour lesquels des sacrifices étaient faits au quotidien. Personne, ou presque, ne quitterait un chemin tout tracé, illuminé par les projecteurs et les flashs, pour vous accompagner dans votre traversée du désert. Tamim avait prononcé et entendu de nombreux "à bientôt", qui n'étaient que des "adieux" plus ou moins déguisés. Il avait promis des coups de fil qu'il n'avait jamais donnés, qui n'auraient, de toute façon, jamais eu de réponses, et fait semblant de croire aux futures invitations qu'on lui avait lancées.
C'était peut-être ça, le plus étrange, aujourd'hui encore. C'était lui qui avait tout perdu, mais c'étaient les autres qui étaient gênés en sa présence. Qui ne savaient pas quoi dire et n'osaient pas le regarder dans les yeux. Exactement, comme à l'époque, lorsqu'ils tentaient tous de faire comme si rien n'allait changer, alors que certains avaient sans doute déjà supprimé son numéro ou participé à son lynchage sur les réseaux sociaux.
Lui aussi avait fait semblant.
Fait de son mieux pour que ce soit le moins gênant possible pour les autres, alors que c'était lui qui s'enfonçait dans les vestiges de son château, transformés en sable mouvant. Lui qui se débattait et hurlait au secours, en espérant qu'on lui tende la main.
Il avait tout perdu, mais étaient-ce vraiment des choses qui en valaient la peine ? Est-ce qu'il avait bien fait de sacrifier sa santé, son bonheur, sa jeunesse et ce qui aurait pu être des relations précieuses, pour quelque chose qui ne lui avait rien laissé de concret et durable, hormis des cicatrices éternelles et des angoisses qu'il peinait encore à combattre ?
Tamim avait fait tout ce que son ancien label lui avait demandé. Il s'était glissé dans un costume de "vrai mâle", toxique, bien trop lourd pour ses frêles épaules de jeune homme à peine sorti de l'enfance et avait laissé son poids écraser ses rêves. Il avait joué le jeu, incarnant cet autre à la perfection, jusqu'à se perdre, sans comprendre qu'il n'avait saisi qu'une infime partie des règles. Sans réaliser qu'il n'était qu'un pion entre les doigts des véritables maîtres du jeu.
Le roi du rap ? Ça le faisait douloureusement rire aujourd'hui. On l'avait mis sur ce trône, telle une marionnette qui s'agitait sur scène en pensant réaliser un rêve. Une marionnette qui se persuadait que ses fils douloureux et trop serrés, marquant sa chair et son âme, n'étaient là que pour son bien. Pour l'empêcher de s'effondrer. Le maintenir au sommet.
Il était tombé de haut.
Pathétique poupée en miettes aux pieds d'un trône qui n'avait jamais été sien.
Les stars se font et se défont ; ce qui vous adulent aujourd'hui, vous détesteront demain.
Aujourd'hui, un autre roi s'agitait dans le petit cadre restreint qu'on lui avait assigné et Tamim n'avait ni haine, ni jalousie ou pitié pour ce produit de passage, qui comme lui il y a quelques années, atteindrait un jour sa date de péremption.
Pour cette star accrochée à son ciel artificiel, il n'était qu'un déchet échoué dans un petit bac à sable où il tentait de construire quelque chose de ses propres mains.
Mais ce qu'il possédait aujourd'hui, est-ce que ça valait le coup ?
Il avait tant souffert et travaillé si dur, alors pourquoi ne pouvait-il pas pleinement profiter ? Pourquoi avait-il encore l'impression d'être un imposteur ?
Soupirant, il regarda la cigarette roulée, qui se consumait doucement entre ses doigts. Peut-être que c'était l'effet de la Bekä qui le mettait dans un tel état. La fleur, fumée par les locaux, dont le nom pouvait, d'après ce qu'il avait compris, se traduire par "confession", était censée le détendre, mais apparemment, son cerveau n'était pas très réceptif.
— Il faut la fumer, pas la regarder, si tu veux ressentir quelque chose.
La chevelure de Micah, blond cendré, longue et frisée, tombait en cascades de petites boucles serrées, encadrant son visage angulaire. Ses sourcils broussailleux surplombaient des yeux marron, expressifs, allumés d'une étincelle de malice.
Les deux hommes se sourirent simplement, en réponse à l'intervention amusée du nouvel arrivé.
Il n'y avait qu'eux, dans une maison confortable, sur une plage où Tamim n'avait encore vu personne d'autre. L'île était grande et plus loin, il y avait une ville animée, bruyante et colorée. Mais ici, il avait l'impression d'être coupé du monde.
Tamim ne savait pas trop comment Micah avait trouvé cette île, mais il n'était pas étonné, vu le nombre de fois dans l'année où ce dernier disparaissait pour découvrir de nouveaux pays. C'était comme si Micah avait un sixième sens pour dénicher des lieux hors du commun. Une forêt luxuriante s'étendait jusqu'à la lisière de la mer ; c'était un endroit où l'on pouvait facilement oublier le monde extérieur, ce qui était précisément la raison de leur présence.
Ils étaient là pour Tamim.
Lovis et Misae avaient décidé qu'ils devaient se reposer et il était privé de téléphone, d'internet et de nouvelles en général.
Loin de lui l'idée de s'en plaindre.
Ils étaient enveloppés dans un tableau vivant où la nature déployait ses contrastes les plus saisissants. Au milieu d'une forêt dense, chaque arbre se dressait comme un pilier vert, leurs feuillages touffus tissant une canopée qui murmurait sous le vent. La mer, quant à elle, étendait son vaste miroir jusqu'à l'horizon, ses vagues venant caresser doucement le rivage en un ballet rythmique et apaisant. Son clapotis mêlé au chant des oiseaux créait une symphonie naturelle, un hymne à la tranquillité.
Juste Micah et lui.
C'était exaltant et terrifiant à la fois.
Ce qui était stupide, vu que ce n'était pas la première fois qu'il se retrouvait seul avec le chanteur à la voix profonde.
Micah était en short de bain, encore mouillé, ses cheveux partant dans tous les sens, ornés de sable. Sa stature, remarquablement grande, portée par une silhouette élancée et athlétique, chaque muscle se dessinant sous la peau brune avec une précision qui témoignait de sa force et de sa vigueur.
Quand Tamim s'était levé, il n'y a pas longtemps, le blond était absent, comme tous les matins depuis trois jours. Micah se baignait juste après être sorti du lit, pendant plus d'une heure et marchait encore au moins deux sur la plage ou vers les bois. Pour Tamim, qui n'était pas du matin vu ses nuits courtes et mouvementées, ça semblait impossible.
— Tu as mangé au moins ? lui demanda Micah en finissant de gravir les marches qui menaient à la terrasse où il était installé.
Sa barbe pleine, taillée avec soin, encadrait une moustache Chevron assortie, lui donnant un air aventureux. Il était parfaitement dans son élément, contrairement à Tamim qui quittait rarement la folie de la ville, malgré l'angoisse qu'elle lui provoquait.
Le bruit des vagues était apaisant, mais moins que la voix de son ami, réalisa soudain le rappeur. C'était une idée qui traversa rapidement son esprit, sans raison particulière, et ça ne le surprit pas. Il avait l'habitude d'avoir ce genre de révélations ou pensées décousues et aléatoires lorsqu'il s'agissait de Micah.
Le vent se leva doucement, taquinant ses cheveux noirs, tressés en box braids, rehaussés de couleurs vives qui s'entremêlaient dans un chignon artistique, touche de fantaisie à une apparence sérieuse, chatouillant sa joue au passage. L'odeur de sel et d'embruns marins se mêlait au parfum acidulé de la Bekä et son estomac se serra soudain, comme pour lui rappeler qu'il avait le ventre vide. Devinant, Micah se pencha sur la table, lui prenant la cigarette des mains pour la glisser entre ses lèvres. Leurs doigts s'effleurèrent et Tamim réprima un frisson, ses yeux attirés par les lèvres pleines.
— Viens, on va manger un truc en ville.
Pour une fois, Tamim s'était levé tôt pour accompagner Micah lors de sa baignade quotidienne.
Il avait bu la tasse, emporté par une vague trop forte, ses yeux le piquaient et sa peau le démangeait, mais c'était parfait. Ils avaient ri, ramassé des crabes, construit un château de sable qui ne ressemblait pas à grand chose, avec les moyens du bord et couru en criant comme des gamins, jusqu'à s'écrouler à bout de souffle sur le dos, pour observer les nuages un moment. Tamim avait chantonné au retour, des paroles tournoyant dans son esprit et ils étaient allés se doucher le sourire aux lèvres.
Maintenant, avachis dans le salon, dont les tons blancs et bleus se mariaient à merveille avec le bois, ils somnolaient à moitié devant un épisode de One Piece. Le canapé était grand, assez spacieux pour quatre ou plus, mais ils étaient l'un contre l'autre, habitude qu'ils avaient prise au fil des années.
Tamim manquait d'affection. Il en avait toujours manqué.
Ayant quitté ses parents trop tôt, jeté dans un monde où le besoin d'amour était vu comme une faiblesse, où il devait être fort, cool et adhérer aux clichés virils décidés pour lui, il s'était construit avec ce manque grandissant, qui encore aujourd'hui, continuait de croître, menaçant parfois de l'engloutir entièrement. Micah n'était pas spécialement tactile, mais l'était devenu doucement avec le temps. Il aimait à penser stupidement que c'était pour lui, quand son esprit lui échappait, s'aventurant vers des zones dont il refusait d'accepter l'existence.
Une main sur son épaule ou son genou, une pression sur sa nuque, des étreintes pour se saluer, se dire au revoir, ou même se remercier. Les gestes d'affections, de réconfort, s'étaient installés naturellement et faisaient aujourd'hui pleinement partie de leur relation. Mais Tamim savait que Micah pouvait lui offrir plus.
Qu'il pourrait, comme avec Misae, le laisser poser sa tête sur ses genoux, caressant ses cheveux pour l'aider à s'endormir. Ou le laisser s'y asseoir à la moindre occasion, comme le faisaient Amin et Nova. Qu'il lui permettrait de s'accrocher à son cou, comme Hisham, ou même de dormir avec lui lorsqu'il faisait des cauchemars, comme Faylin.
Mais Micah n'imposait jamais son affection et Tamim maintenait toujours une barrière entre lui et les autres.
Elle était impénétrable en temps normal, mais bien trop fine et fragile avec le chanteur.
Ce n'est pas qu'il ne voulait pas de la tendresse de Micah, c'est simplement qu'il n'était pas prêt à la recevoir. Pas prêt à gérer ce que poser sa tête contre l'épaule, rassurante et si proche, pourrait déclencher comme catastrophe.
Ah. Il pensait toujours trop lorsqu'il était avec Micah.
La présence de son ami le rassurait et l'apaisait, mais elle créait aussi, depuis toujours, depuis leur première rencontre, un séisme presque indétectable, qui déterrait doucement, mais sûrement, chaque jour plus de choses en lui. Des choses qu'il avait enfoui depuis bien trop longtemps, qui devaient absolument rester enterrées.
Des choses qu'il rêvait plus que tout, pouvoir partager.
— Tu ne devais pas me faire essayer l'Överra ? lança-t-il soudain.
Il avait besoin de calmer son angoisse naissante et de faire taire son esprit agité. Micah le regarda avec attention, lui demandant sans même parler si ça allait, parce qu'évidemment, il savait que sa demande n'était pas anodine.
Micah le connaissait bien. Il était attentif à son bien-être. Il voulait son bonheur. Et lui, voulait être encore meilleur pour lui. Pour lui prouver qu'il avait eu raison de croire en la marionnette détestable qu'il avait un jour été. Mais il savait qu'il ne serait jamais entièrement sincère et ça lui donnait envie de pleurer.
De vomir.
Comme toutes les fois où ce qu'il réprimait depuis l'adolescence lui tordait les entrailles pour remonter à la surface.
L'Överra avait tout l'air d'une plaisanterie.
Un croisement entre une racine et une branche, du point de vue de Tamim. Une sorte de tube long et sinueux, de couleur marron foncé, étroit d'un côté et large de l'autre, avec une ouverture à chaque extrémité. C'était apparemment la tige d'une fleur particulière, dont on retirait simplement les pétales, utilisés séparément.
Tamim se demandait s'il existait quelque chose dans les bois de cette île qui ne se fumait pas.
— Tu l'allumes ici, et tu dois juste aspirer par là, expliqua Micah, illustrant ses propos par des gestes.
Il le regarda, perplexe, s'attendant à le voir éclater de rire et sortir la véritable Överra, mais non, rapidement, une fumée étonnamment rougeâtre se forma entre eux et une odeur agréable, évoquant le caramel et la cannelle, les enveloppa. Alors, il se lança.
Ici, personne ne le connaissait et chez lui, on ignorait probablement même l'existence de cet endroit, donc il n'avait pas à craindre un quelconque scandale. De plus, il accordait toute sa confiance à Micah. Il en prenait conscience aujourd'hui, plus que jamais. Ça le frappa tandis qu'il aspirait profondément, sans hésiter.
Le blond lui avait expliqué, alors que ces vacances n'étaient encore qu'un projet, avoir trouvé une île offrant des solutions naturelles à son stress et ses cauchemars.
"Même si tu ne veux rien emporter avec toi au retour, ce serait bien que tu te détendes et que tu te reposes suffisamment sur place. Il n'y a rien de chimique. Aucun ajout ou mélange."
Pour le coup, Tamim n'avait effectivement jamais rien fumé d'aussi naturel. Pouffant légèrement en s'imaginant fumer les légumes qui devaient pourrir dans son réfrigérateur à des milliers de kilomètres de là, il se dit que l'Överra devait agir rapidement. S'affalant dans le canapé, il soupira, les yeux fermés.
— Micah...
— Hum ?
— Merci.
Tamim se sentait bien. Toujours lui-même. Toujours conscient. Mais plus léger. Son esprit n'était pas plus lent, mais moins encombré. Rien ne semblait ternir son sentiment de plénitude. Souriant, observant sa fumée et celle de Micah se mêler, il profita du fait que ce dernier ait son bras derrière sa tête, sur le dessus du canapé, pour se blottir contre son flanc, la joue contre son torse. Mais rapidement, laissant échapper un petit rire, il bascula encore, s'allongeant sur le dos en utilisant les genoux de Micah comme oreiller. Le blond ne dit rien, baissant simplement la tête, l'observant.
Tamim avait une allure imposante, un visage angulaire et déterminé, trahissant une volonté de fer. Ses traits prononcés étaient adoucis par une barbe de quelques jours, soigneusement entretenue, qui lui donnait un air faussement négligé. Sa peau noire, héritée de sa mère, était la seule chose qui le sauvait de l'immonde et difforme tee-shirt rouge orangé et jaune qui noyait sa silhouette athlétique.
Songeant que Tamim pouvait vraiment tout porter, comme aimait le répéter ses fans, Micah croisa l'éclat perçant de ses yeux vert gris, qui semblaient scruter son âme.
Leurs regards ne se quittèrent plus.
En temps normal, Tamim aurait déjà détourné les yeux. En temps normal, il ne serait même pas dans une telle position.
Si exposé et vulnérable. Si proche de la tentation. Du précipice.
Levant sa main libre, l'autre tenant l'Överra à ses lèvres, il effleura presque la barbe douce du blond, mais s'arrêta avant et ce dernier s'en saisit doucement, serrant le bout de ses doigts entre les siens.
— Hey, M'cah, tu crois que dans ma prochaine vie, je te retrouverai encore ? murmura-t-il. Et que je ferais les choses bien, cette fois ?
Micah ne dit rien, son regard fixé sur son visage, où les petites poches sous les yeux et les vieilles traces d'acné racontaient une histoire de nuits blanches et de luttes passées, cherchant quelque chose dans son expression.
— Peut-être que je pourrais être une fleur ou un bonsaï, pour être toujours avec toi.
Micah tressaillit légèrement.
—
Tu n'as pas besoin d'attendre une autre vie pour ça, ni d'être une
plante ou de faire les choses différemment, répondit-il. Je suis là, non
?
Överra signifiait surprise et Tamim aurait pu trouver ça drôle, s'il n'était pas si choqué.
Trouvant que Micah tardait à revenir avec les courses ramenées par un local, habitué à le livrer lors de ses séjours, il avait décidé de venir voir s'il n'avait pas besoin d'aide, ne se doutant pas de ce qui l'attendait.
Micah Sabri, leader et chanteur du groupe Chimera Sound n'avait absolument pas besoin d'aide. Il avait la situation et les fesses d'un grand brun aux cheveux très longs, bien en mains. Pieds nus sur la terrasse, Tamim était figé, observant celui que le Times avait appelé "la plus jeune légende vivante du rock", approfondir le baiser passionné qu'il échangeait avec l'inconnu, saisissant son menton d'une main ferme, clairement en contrôle.
L'autre était plus grand et un peu plus large, mais la présence de Micah était plus imposante. Presque écrasante. Loin de se plaindre, son partenaire se laissait complètement dominer, docile entre ses bras. Le baiser était profond, vulgaire presque et Tamim, réalisait soudain que Micah était gay. Ou du moins, qu'il était attiré par les hommes.
Micah était gay et il se sentait soudain en colère. Pas contre le blond. Pas contre l'inconnu. Mais en colère quand même. Un sentiment familier, qui le troublait toujours autant.
Contre qui était-il si fâché ?
Le vent chargé de sable s'éleva, puissant, le forçant à fermer les yeux. Quand il les ouvrit, Micah était seul, son regard fixé sur lui. Tamim tressaillit, comme pris en faute. Il avait l'impression d'avoir fait une bêtise. Vu quelque chose qu'il n'aurait pas dû.
— Je...c'est, balbutia-t-il, alors que Micah montait les marches vers la terrasse.
Ce dernier était détendu, exactement comme avant de quitter le salon, absolument pas perturbé qu'il l'ait vu embrasser un autre homme. Deux sacs de courses dans la main droite et un carton plein de boissons sous le bras gauche, il lui souriait.
— Désolé de t'avoir fait attendre, s'exclama-t-il. Le pourboire n'était pas vraiment prévu !
Il rit en pénétrant dans la maison par la baie vitrée, apparemment amusé par sa blague.
— Ça te va, sandwichs, chips et fruits ? J'ai la flemme de tenter quoi que ce soit de plus élaboré.
Tamim hocha bêtement la tête en entrant à son tour, le suivant jusqu'à la cuisine ouverte. N'ayant pas eu de réponse, Micah, déjà occupé à ranger les courses, se tourna.
— Mims ?
Le brun se reprit, secouant un peu la tête.
— Oui ! C'est... c'est parfait !
Finalement, comme aucun d'eux n'avait vraiment faim, malgré l'heure du déjeuner largement dépassée, Micah avait décidé qu'ils allaient pique-niquer, après une balade à cheval.
Si Tamim avait été dans son état normal, il aurait refusé, mais c'était loin d'être le cas, alors il se retrouvait coincé sur une superbe monture avec Micah, le torse de ce dernier contre son dos, ses deux bras l'enveloppant pour pouvoir tenir les rênes. Plus de dix minutes qu'ils se baladaient, seuls, comme toujours, mais le brun ne voyait rien du paysage. Il était tellement pris dans ses pensées qu'il avait oublié où il était et pourquoi il était là. Tout ce dont il avait conscience, c'était du corps de son ami collé au sien.
Il n'avait qu'une seule chose en tête ; Micah est gay.
— Je...je ne sa...savais pas, lâchait-il sans pouvoir se retenir.
C'étaient les premiers mots qu'il prononçait depuis le début de la promenade.
— Que j'aime les hommes ? demanda tranquillement Micah, comprenant directement.
Parce qu'il savait parfaitement que c'était ce qui le travaillait encore. Parce qu'il le connaissait bien, mais ne le pressait jamais. Venant simplement à son secours lorsqu'il peinait à s'exprimer. Et encore une fois, Tamim sentait la colère l'envahir, parce que Micah était parfait et qu'il était gay.
— C'est un problème pour toi ? continuait le blond.
Tamim secoua vivement la tête.
— NON ! BIEN SÛR QUE NON ! criait-il presque. Je...
Il se tut abruptement, mordant sa langue.
— Tu ? souffla Micah à son oreille.
Frissonnant de la tête aux pieds, Tamim se mordit encore plus fort. Au bout de quelques instants, voyant qu'il ne disait vraiment plus rien, son ami se redressa un peu.
— On va s'arrêter là, je commence à avoir faim.
Descendant le premier, il attendit que Tamim fasse de même, mais ce dernier était encore tellement pris dans sa découverte et les sentiments contradictoires qui l'agitaient, qu'il ne bougea pas. Bien qu'un peu surpris, Micah, pensant qu'il avait besoin d'un peu d'aide, lui tendit la main. Au lieu de lui assurer qu'il pouvait se débrouiller seul, Tamim, toujours sur pilote automatique, la saisit en se laissant presque tomber du cheval, le prenant de cours.
Comme dans une scène clichée de roman à l'eau de rose, Micah le rattrapa tandis qu'il basculait contre lui. Clignant des yeux, Tamim se décolla un peu, les larges mains de son ami sur ses hanches.
— Demande-moi, au lieu d'y penser dans ton coin et de risquer de te faire mal ! s'exclama ce dernier, un peu agacé.
Il n'utilisait ce ton avec lui que lorsqu'il était inquiet.
Tamim ne bougeait pas, le regardant simplement, submergé par trop de choses pour pouvoir parler.
— Je suis gay. Ce n'est pas un secret ou quelque chose dont j'ai honte, je ne parle simplement pas de ma vie privée et je n'ai jamais eu de relation assez durable pour être exposée publiquement, continua Micah. Le jeune homme de tout à l'heure, Qênân, est l'un de mes amants occasionnels, quand je viens ici.
Le cheval bougea légèrement dans le dos de Tamim. Ou peut-être que c'était dans sa tête. Dans tous les cas, il s'avança encore, sa silhouette athlétique, agile et gracieuse, se collant au corps de Micah. Assez proche pour voir la surprise dans son regard et quelque chose d'autre qui fit chanceler ses jambes et affola son cœur. Il n'eut pas vraiment conscience de se redresser, ses yeux toujours plongés dans ceux de son ami, dont les mains se pressaient sur ses hanches, serrant son débardeur blanc. Il dévia vers les lèvres un peu gercées et, comme poussé par une force invisible, il y appuya les siennes, dans un bisou timide, qui transpirait déjà le regret.
Micah le ressentit. Évidemment, Micah, qui était toujours attentif, sensible et attentionné, le ressentit.
Alors que son regard devait exprimer toute sa terreur et sa peau noire lui éviter l'embarras des joues rouges, Tamim le sentit se détacher, la chaleur et force rassurante de ses mains sur son corps, lui manquant déjà.
— N'ouvre pas un nouveau chapitre, sans avoir l'intention de l'écrire, Mims, souffla-t-il en s'éloignant, après avoir saisi les rênes.
Ce ne fut que quelques instants après que Tamim réalisa qu'ils étaient en réalité revenus à la maison, le blond ayant sans doute remarqué qu'il se fichait complètement de la balade.
Portant machinalement une main à ses lèvres, il y fit glisser ses doigts, frissonnant de la tête aux pieds. C'était peut-être pour ça que c'est en présence de Micah, qu'il se demandait toujours s'il serait capable de tout détruire pour recommencer à nouveau.
Mais maintenant, la seule chose à laquelle il pensait, c'était que tout préserver, mais perdre le blond, n'aurait aucun intérêt.
"Est-ce que j'ai tout gâché ?"
Se dirigeant doucement vers la plage, la mer, plus agitée que d'habitude, l'attirant, il sentit son séisme intérieur se faire moins subtil, ses secrets enfouis, réprimés, dépassant déjà vers la surface.
Micah était gay. Ouvertement gay. Alors que lui avait passé si longtemps dans le placard qu'il avait sans doute fusionné avec, se transformant en sa propre prison. Il n'y avait pas une seule personne au monde qui savait. Pas même ses meilleurs amis, ceux en qui il avait le plus confiance. Pas même Micah, qui ne l'avait jamais jugé. Qui aimait sans doute déjà les hommes, pendant que lui perdait son temps et lui-même en route.
Tamim s'était plusieurs fois attardé sur le torse de Ji Won, les fesses de Hisham, la bouche de Faylin ou les jambes de Nova, mais là, c'était différent. Ce n'était pas comme mettre sur le compte de l'alcool un regard insistant, lorsqu'un inconnu voulait vous foutre son poing dans la gueule en boîte de nuit. Ce n'était pas se persuader que ça n'avait au final aucune importance, qu'il aime ou non les filles, puisqu'il n'avait plus à se forcer à faire semblant et qu'il pouvait simplement finir sa vie seul, entouré d'amis ayant trouvé leur moitié. Ce n'était pas comme se répéter qu'une relation, aussi géniale soit-elle, ne serait jamais aussi magique que la présence de Micah et ce qu'il lui faisait ressentir.
Être amoureux d'hommes inaccessibles, qui ne pourraient jamais le regarder comme lui les regardait, ce n'était pas grave, ça ne l'avait jamais angoissé. Étrangement, c'était plutôt rassurant. Parce que peu importe ce qu'il avait ressenti pour Jay, ou Jin Wu avant lui, ça n'avait jamais eu aucun avenir. Les deux étaient hétéros et ses sentiments étaient passés de l'un à l'autre avant de s'effriter doucement, rejoignant ses précédentes histoires sans espoir, dont les restes couvraient son profond secret.
Mais Micah était toujours là. Il n'avait jamais quitté sa vie, s'y faisant au contraire toujours plus de place, jusqu'à ce qu'il ne puisse plus imaginer un avenir sans sa présence. Micah embrassait et étreignait des hommes. Micah avait envie de l'embrasser et de l'étreindre, lui. Il trébucha presque dans les vagues, submergé et encore incapable de savoir comment réagir.
Au moins, maintenant, il savait que c'était contre lui qu'il était en colère depuis si longtemps. Parce que si Micah était ouvertement gay, alors forcément, ses amis, leurs amis, le savaient. Il eut soudain envie de hurler et c'était peut-être ce qu'il aurait fait, s'il n'avait pas eu une boule dans la gorge. Il n'avait rien dit à personne, pas même à Ji Won ou Faylin et soudain, il ne savait plus du tout pourquoi. Pourquoi il avait gardé ça si longtemps pour lui. Pourquoi il n'avait partagé ça avec personne.
Pourquoi.
Pourquoi.
Pourquoi.
Tellement de "pourquoi". Puis pire, les "et si".
S'avançant dans l'eau, il se laissa tomber, les vagues le frappant de plein fouet.
— Tu te baignes sans moi ?
Micah s'assit près de lui dans le sable, l'eau atteignant ses hanches. Ça n'empêcha pas une vague d'éclabousser ses pommettes hautes et sculptées, le faisant rire. Tamim l'observa, détaillant son visage, cherchant à lire entre les lignes, à voir si quelque chose se cachait dans son expression détendue. Mais ce n'était pas le genre de Micah. Son ami avait toujours été sincère et patient avec lui.
Là, au milieu des vagues, il réalisa que s'il avait eu la chance d'avoir des gens à ses côtés lors de ses moments difficiles, Micah avait été sa lumière, assez forte pour le guider hors de l'obscurité. L'oasis dans ce long désert qu'il avait traversé il y a quelques années et le but qu'il avait toujours voulu atteindre. Une motivation pour continuer à se battre contre ses démons et enfin s'exprimer pleinement et se montrer tel qu'il était.
Une promesse.
Micah ne lui avait jamais dit d'être meilleur, mais d'être lui-même. Et surtout, il avait toujours cru en lui. Toujours cru, qu'il en était capable. Le laissant aller à son rythme, trébucher et se relever, sans intervenir, en avançant simplement à ses côtés, lui rappelant qu'il était là, sa main tendue en cas de besoin.
Aujourd'hui encore, Micah était là, son corps collé au sien, lui transmettant sa confiance, lui assurant qu'il ne partirait pas, peu importe ce qu'il dirait ou ferait. Alors en sentant son bras passer autour de son épaule, Tamim laissa sa tête basculer sur le côté. Sa joue contre le tee-shirt trempé du blond, il observa le château de sable se faire emporter.





Commentaires
Enregistrer un commentaire