Le poids des châteaux de sable - Partie 2

 

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  Partie 1 - Partie 3 (Fin)

 

 

 

 

Lovis et Misae étaient là depuis une semaine, ne laissant que peu de temps à Tamim pour s'attarder sur les derniers événements, ses sentiments, ou simplement pour être à nouveau en tête-à-tête avec Micah.

Il adorait le duo et était content de les voir, mais après presque huit jours à courir partout avec eux, il rêvait de retrouver le cocon que Micah avait prévu pour lui. C'est dans ces moments-là qu'il réalisait que le blond pensait toujours à ce qu'il y avait de mieux pour son bien-être. Le mieux pour son moral, sa santé, sa créativité, son confort.

Son bonheur.

Ce genre de pensées qu'il gardait sous contrôle depuis des années lui échappaient de plus en plus dernièrement, prenant de l'ampleur en s'envolant, bien trop haut pour qu'il puisse à nouveau les enfermer. Mordant sa lèvre, sentant son estomac se tordre et ses joues s'échauffer, il baissa ses lunettes de soleil, se cachant derrière.

Misae était accroché au dos de Micah, cherchant à le faire tomber à l'eau, mais se faisait évidemment balancer à chaque tentative, ses éclats de rire atteignant la terrasse où il était installé avec Lovis. La vue était parfaite d'ici, et Tamim ne pouvait s'empêcher de sourire en voyant la joie qui illuminait le visage de Micah.

— Il y a quelque chose de différent.

Brisant sa bulle, la voix de son ami le fit tressaillir. Il savait que Lovis était quelqu'un qui n'avait jamais aucune intention cachée. Les sous-entendus et messages codés n'étaient pas du tout son genre. Il était pur, au sens le plus noble du terme, n'apportant que des ondes et de l'énergie positive. Malgré tout, son cœur battait plus fort et il sentait l'angoisse pointer vicieusement.

— Hun ? lâcha-t-il difficilement.

Lovis, un cocktail à la main, quitta les deux grands gamins dans l'eau pour tourner la tête vers lui.

— Je ne sais pas, il y a juste quelque chose de différent chez Micah et toi.

Souriant, il ajouta :

— Mais vous avez l'air d'aller bien, donc c'est parfait, peu importe ce que c'est.

Le cœur de Tamim se serra et il sentit une bouffée d'affection l'envahir. Soudain, il eut envie de lui dire. Il se demanda s'il pouvait lui dire. Mais même si les mots se bousculaient dans son esprit et qu'il ouvrit plusieurs fois la bouche, poings serrés, pendant un long moment, rien ne sortit.

Pourquoi est-ce que c'était si dur ? Pourquoi est-ce qu'il devait le faire ?

Personne ne demandait aux hétéros d'annoncer au monde qu'ils l'étaient, alors pourquoi devait-il tant souffrir pour réussir à avouer quelque chose qu'il avait enfoui si profondément, qu'il n'était pas sûr de pouvoir s'en libérer un jour ?

Frustré, il se leva, surprenant son ami.

— Ça va ? lui demanda ce dernier.
— Oui, juste un peu chaud, mentit-il en retournant à l'intérieur.

Une fois dedans, avant de tirer la baie vitrée, il s'arrêta une seconde.

— Lovis ?
— Oui.
— Je t'adore.


Tamim n'était pas fier de bouder dans sa chambre comme un enfant.

Il se sentait ridicule d'être agacé que l'attention de Micah ne soit plus uniquement sur lui, mais c'était comme ça. Il avait fini par se l'avouer.

Douze jours que Misae et Lovis étaient là et il avait l'impression de ne plus avoir la moindre seconde tranquille avec Micah. De ne plus le voir ou lui parler.

Bien sûr, c'était faux. Micah était toujours là, s'assurant qu'il mange, qu'il dorme bien, lui demandant ce qu'il voulait faire, paressant au soleil à ses côtés ou construisant de nouveaux châteaux de sable avec lui. Ses accolades étaient plus tendres, la pression sur sa nuque ou son genou ressemblait de plus en plus à une caresse, son bras se retrouvait régulièrement autour de ses épaules et leurs doigts semblaient aimantés, s'effleurant plusieurs fois par jour.

Micah le regardait ouvertement, intensément, il parlait à son oreille, chuchotait ses taquineries au lieu de les lancer à voix haute, et lui souriait à chaque fois qu'il croisait son regard. Et c'était pour toutes ces raisons que Tamim ne supportait plus de devoir partager son attention. Cette attention qui lui faisait encore peur, mais dont il voulait être la seule cible.

— Mims, on se fait une soirée en tête-à-tête ? lança Micah en frappant à la porte de sa chambre. Les enfants sont partis faire la fête en ville, ils vont sûrement rentrer au petit matin.

Tamim fut une fois de plus soulagé de ne pas pouvoir rougir, conscient que Micah savait pourquoi il s'était enfermé dans sa chambre, bloquant sur les mêmes pages d'un bouquin pendant des heures, en répétant qu'il était fatigué. Mais malgré sa gêne, il bondit presque hors de son lit, ne pouvant contenir la satisfaction qui l'envahissait.

Ce n'est qu'une fois dans le couloir qu'il commença à douter, se demandant s'il n'exagérait pas. Si Micah n'aurait pas préféré profiter de Misae et Lovis, voire sortir avec eux pour s'amuser, au lieu de rester pour satisfaire son caprice.

"Peut-être que Qênân ou un autre l'attend."

Avançant soudain presque au ralenti, il écarquilla les yeux une fois au bout, le doute laissant place à la surprise. Micah, derrière le comptoir de la cuisine, plusieurs bouteilles et ustensiles devant lui, secouait un shaker, un tablier autour des reins et une serviette sur l'épaule. Il était torse nu et en s'avançant, il réalisa qu'il ne portait en réalité qu'un boxer blanc.

Déglutissant, Tamim se rapprocha encore, sans quitter la peau mate du regard, remontant vers les muscles sollicités par la préparation du cocktail.

— Je n'essaye pas de nous soûler, malgré les apparences ! s'exclama-t-il. Je prépare juste des Long Island.

Regardant les ingrédients nécessaires en plus du cola, du sirop et du jus de citron, à savoir du gin, de la tequila, du rhum blanc, de la vodka et du Cointreau, il rit, secouant la tête.

— Ok, peut-être que je veux qu'on finisse déchirés !

Tamim ne put s'empêcher de rire aussi, toute inquiétude envolée. Micah était là, car il voulait être là. Avec lui, pas avec un Qênân ou un autre.

— La clim est en panne dans le salon, donc on meurt de chaud, reprit son ami. J'ai mis le ventilateur vers le canapé, mais ce n'est pas extraordinaire.

Servant les cocktails, appréciant leur couleur ambrée, il ajouta :

— Mais dans pas longtemps, il devrait faire plus frais dehors et on pourra ouvrir.

Tamim acquiesça, s'appuyant sur le plan de travail.

— Tu amènes ça de l'autre côté et tu nous trouves un film ? demanda doucement Micah en lui souriant. Je me débats un peu avec les paquets de chips et j'arrive.
— Essaye de ne pas en foutre jusqu'au plafond ! s'exclama Tamim en prenant le plateau, lourd de plusieurs verres pleins.
— Hé, c'est arrivé une fois, se défendit Micah, boudant faussement.

Tamim ne savait pas trop quoi choisir comme film. Il envisagea un film d'horreur ou une comédie stupide, juste pour faire enrager Micah. Mais soudain, il s'arrêta sur un titre particulier, se sentant légèrement trembler. Rapidement, il passa, continuant de chercher, mais sans plus faire attention, son esprit encore bloqué sur le film qui avait attiré son attention. Il se sentait stupide, ridicule même. Mais il se décida quand même, le cœur battant et l'estomac noué.

S'asseyant dans le canapé, il se saisit d'un cocktail, avalant une gorgée rapidement. Il recracha presque, mais réussit à se retenir, l'alcool lui brûlant la gorge. Respirant profondément, il continua son verre, plus lentement cette fois.

Il avait vraiment besoin d'un peu de courage.

— Je vois qu'on ne m'attend même pas, plaisanta Micah en le rejoignant.

Ses longues jambes musclées étaient toujours exhibées, mais il avait mis un tee-shirt, malgré la chaleur qui le gênait sans doute. Il l'avait fait pour ne pas le mettre mal à l'aise, Tamim le savait. Le haut rouge était très long, la couleur mettant en valeur sa peau foncée et sa chevelure blonde qui échappait en frisottis à sa tentative de chignon.

— Ça fait du bien d'être enfin tous les deux, au calme.

Ses paroles firent frémir Tamim, qui hocha la tête, un petit sourire étirant ses lèvres. Il n'avait pas besoin de parler, c'était aussi ce qui était bien avec Micah. Avec tout ce qu'il avait traversé et après s'être forcé si longtemps à attirer et maintenir les projecteurs sur lui, Tamim affectionnait le calme et la discrétion. Il ne parlait pas beaucoup, appréciant la présence de ses proches, sans ressentir le besoin d'être forcément le plus actif ou celui que tout le monde regardait et écoutait. Sauf, peut-être, lorsqu'un certain blond était concerné.

Mais avec Micah, il n'avait pas besoin de demander ou de faire des efforts pour avoir son attention. Pas besoin de faire quoi que ce soit de spécial ou de se forcer à parler plus fort que les autres. Et lorsque l'envie de parler le prenait. Lorsqu'il se transformait en véritable moulin à paroles, pouvant se perdre un long moment dans ses propos, argumentant avec passion ou radotant sur le même sujet qu'il trouvait fascinant, Micah l'écoutait. Avec la même sincérité et patience que lorsqu'il partageait son silence.

— Qu'est-ce qu'on regarde ?

Soudain, Tamim ne fut plus si sûr de son choix. Ouvrant puis refermant la bouche, il tremblait un peu, l'angoisse formant de plus en plus de nœuds dans son estomac, son ventre et sa gorge.

— Mims ? s'inquiéta Micah.

Se levant d'un coup, il ouvrit la baie vitrée, dévala les marches et courut vers la plage, fuyant le plus rapidement possible. Peut-être que s'il allait assez vite, il pourrait laisser ses peurs derrière lui ?

Micah, bien qu'un peu pris de court, ralluma la télé, tombant directement sur le fameux film, prêt à être lancé. Il l'avait vu il y a plusieurs mois déjà, mais même sans, il aurait compris la fuite du plus jeune, vu l'affiche.

Est-ce que Tamim savait que le film finissait mal ? Que les deux hommes, après s'être ratés pendant des décennies, par peur, se décident enfin à sauter le pas, perdant tout ce qu'ils avaient construit jusque-là, au point d'en venir à en vouloir à l'autre. Savait-il qu'ils se séparaient, que l'un deux mourait et l'autre sombrait dans la folie ?

Micah était fatigué de ce genre de film. Fatigué que seuls les hétéros aient le droit au bonheur au cinéma. Aux histoires d'espions, aux comédies, aux aventures fantastiques, à la science-fiction, aux romances légères, voire un peu stupides, et à l'évasion en général. À l'espoir. Au rêve.

Éteignant la télé, il se leva pour rejoindre Tamim, songeant qu'il avait toujours cru en un happy end pour ce dernier et pour lui. Qu'il avait décidé depuis longtemps de tout faire pour que Tamim soit heureux, aussi bien professionnellement que personnellement. Qu'il trouve, comme lui, une forme d'apaisement et un équilibre.

Il avait toujours cru qu'ils finiraient heureux, mais pas ensemble. Aussi optimiste qu'il ait pu être parfois, il n'avait jamais osé imaginer un avenir où ils seraient plus qu'amis. Jamais hors de l'intimité rassurante de ses rêves en tout cas. Mais dernièrement, avant même le début de leurs vacances, quelque chose semblait différent lorsqu'ils étaient seuls et depuis que Tamim l'avait surpris avec Qênân, c'était encore plus flagrant, déstabilisant et intense. Comme si leurs barrières n'étaient plus assez hautes pour retenir les vagues de sentiments et d'envies qui débordaient de plus en plus, les éclaboussant régulièrement, leur faisant prendre conscience de ce que l'autre ressentait, mais aussi de l'intensité de leurs propres émotions.

Malgré tout, Micah avait peur. Peur de se tromper. De voir plus que ce qu'il y avait vraiment et de prendre ses rêves, mis de côté depuis longtemps, car jugés impossibles, pour une soudaine miraculeuse possibilité. Il avait peur de brusquer Tamim, de lui donner l'impression qu'il lui devait quoi que ce soit ou qu'un éventuel questionnement sur sa sexualité et ses désirs devait forcément mener à quelque chose entre eux. Il ne voulait pas que Tamim culpabilise de le rejeter, ou que leur précieuse relation soit gâchée. Il aimait être le havre de paix du rappeur et perdre leur indéfinissable lien serait pire que tout.

Micah avait vécu toutes ces années en prévoyant de voir Tamim tomber amoureux et faire sa vie avec quelqu'un de formidable. Quelqu'un qui ne serait pas lui. Il pensait avoir fait la paix avec cette idée, l'avoir acceptée. Mais maintenant qu'une once d'espoir se rallumait, qu'il avait senti, bien qu'une seconde seulement, les lèvres de cet homme merveilleux contre les siennes, l'idée lui paraissait insoutenable.

Arrivé sur la plage, il observa la silhouette de Tamim, assis, non loin de leur dernier château de sable, qui tenait encore debout. Il n'avait pas de souvenir précis ou d'explication lorsqu'il s'agissait de ses sentiments pour lui. Il ne savait pas à quel moment, ni comment, ou pourquoi, sa curiosité artistique et son intérêt pour l'être humain perdu derrière un masque s'étaient mués en désir, affection, tendresse, puis amour. C'était arrivé, c'est tout.

S'asseyant doucement à côté de Tamim, il ne dit rien, fixant, comme lui, la mer. Les vagues étaient calmes ce soir, caressées par les rayons du soleil couchant. Le sable était encore chaud, l'air lourd et il avait l'impression que son tee-shirt collait déjà à sa peau moite, mais il se pressa malgré tout contre Tamim, espérant que le contact puisse lui apporter du réconfort.

Ou peut-être que cette fois, c'était lui qu'il cherchait à rassurer. Peut-être qu'il avait peur que Tamim s'éloigne ou sursaute à son contact. Peut-être que c'était un test, une façon de s'accrocher à la lueur d'espoir vacillante dans sa poitrine, ou au contraire, d'abandonner entièrement.

C'est étrange, il avait toujours été persuadé que jamais il n'aurait la moindre chance avec Tamim et c'est aujourd'hui, alors qu'ils étaient plus proches que jamais, que son cœur commençait à se briser. Plus tard, ça ferait sans doute une belle chanson. Un souvenir. Pour le moment, c'était une plaie qui saignait déjà.

Tamim n'avait pas fui le contact. Il n'avait pas sursauté, mais il frissonnait, aussi fiévreux que s'il était malade. Chaque partie de lui était tendue, sensible. Il était conscient de chaque centimètre de leurs corps en contact. Ses doigts glissaient dans le sable, jouant avec nerveusement, l'autre main tapotant son genou. Soudain, il toucha la cuisse de Micah, tressaillant en même temps que lui. Un petit son anormalement aigu échappa au blond et Tamim se tourna machinalement vers lui. Leurs regards se croisèrent et malgré la sueur ruisselant sur son corps, il eut l'impression qu'un vent glacé l'enveloppait soudain. Tétanisé, terrifié, Tamim ne dit rien, ne bougea pas et oublia presque comment respirer.

Il ne savait pas quoi faire, où regarder et quoi dire. Ou peut-être, qu'en réalité, il ne savait pas comment dire ce qu'il rêvait d'enfin avouer à voix haute. Et comme toujours, Micah comprit qu'il avait besoin d'un peu d'aide. Son regard tendre plongé dans le sien, il sourit, avant de regarder à nouveau la mer, pour lui faciliter les choses.

— J'avais seize ans et c'est en rencontrant Nova, confia-t-il. Il a été mon premier "oh", mon premier amour et mon premier cœur brisé.

Marquant un temps d'arrêt, il reprit.

— Et toi ?

Tamim déglutit, pris de vertige, bien qu'il soit assis. Il ne répondit pas tout de suite et son ami ne le pressa pas. Le silence s'étira, brisé uniquement par le bruit des vagues. Fermant les yeux, poings serrés, le brun se mordit la lèvre, luttant pour déterrer entièrement son secret qui, bien qu'il n'en était plus réellement un, resterait un poids, tant qu'il ne l'aurait pas clairement libéré. Il en était certain.

— Depuis toujours, haleta-t-il presque. Depuis que je suis en âge de trouver quelqu'un attirant.

Sa gorge le brûlait et ses yeux piquaient, comme si une fumée toxique l'attaquait, ses poumons peinant d'ailleurs à remplir leur rôle. Tout était dans sa tête, il le savait, mais ça ne rendait pas les choses plus faciles.

"Ne pas pleurer. Ne pas craquer. Respirer. Ça va aller. Ça passe toujours."

Sauf que maintenant qu'il l'avait dit, tout était réel. Pas le fait qu'il soit gay, mais le temps perdu et le mal qu'il s'était fait.

Est-ce que ça valait le coup de se renier ainsi, de se détruire, pour un stupide château qui l'avait retenu prisonnier dans un bonheur factice, avant de s'effondrer, l'écrasant sous les débris ? Fragile comme du sable et pourtant, aussi lourd que du béton.

Sûrement le poids des doutes, blessures, regrets et souffrances accumulés. Le poids du prix à payer pour avoir vendu son âme.

Tamim avait voulu se persuader qu'il avait complètement fait la paix avec son passé. Qu'il allait mieux, parfaitement bien même. Et aujourd'hui, il devait accepter que c'était faux. Aujourd'hui, il se sentait à nouveau désolé pour le gamin qu'il avait été. L'innocent plein d'espoir, qu'il avait forcé à mentir et à se renier, en s'enfonçant toujours plus profondément dans des mensonges douloureux, qui l'avaient blessé en permanence.

Les marques étaient encore là. Profondes et indélébiles.

Être désolé pour l'adolescent qu'il avait été, c'est être désolé pour l'homme qu'il était aujourd'hui et il détestait ce sentiment plus que tout. Il haïssait cette impression de revenir en arrière. De revenir au moment où il avait tout perdu, où il se méprisait plus que tout. Lorsqu'il se haïssait au point de ne plus supporter son reflet, incapable de se reconnaître dans l'image forgée par d'autres. Il ne voulait plus se sentir comme une victime. Surtout une victime de ses propres erreurs.

Ça ne valait pas le coup. Rien ne valait le coup de s'infliger ça. Et maintenant, c'était trop tard.

Trop tard pour revenir en arrière. Trop tard pour éviter les dommages et réparer les choses. Trop tard pour se réparer.

Et c'est pour ça qu'il s'en voulait autant. Pour ça que découvrir que Micah était gay avait réveillé cette colère qui grondait sous la surface.

Lentement, lui laissant l'occasion de reculer, le blond passa un bras autour de ses reins, l'attirant doucement vers lui, sans forcer le mouvement. Tamim suivit, acceptant l'étreinte, s'accrochant à ses épaules puis son cou. Micah l'enlaça alors vraiment, le serrant contre lui et cette fois, il ne retint plus rien, craquant complètement.

Il avait mal. Il était révolté, blessé, en colère. Mais il était aussi soulagé. Ses émotions contradictoires se mêlaient pour former une masse énorme, toxique, dont il se libérait peu à peu, allégeant son cœur et son esprit. Tirant sur le tee-shirt de Micah, ses doigts crispés autour, il enfouit son visage dans son cou, s'accrochant à lui de toutes ses forces.

Lorsqu'il fut enfin calmé, il faisait nuit et plus frais. Ils ne dirent rien, et ne se séparèrent pas, observant la lune, l'un contre l'autre. Tamim était trop épuisé pour réfléchir, ou même ressentir autre chose que la fatigue et la chaleur de Micah, et au final, ils s'endormirent tous les deux, sans s'en rendre compte, bercés par les vagues.

Les cris de Misae, piétinant près de leurs têtes, les réveillèrent assez brutalement, quelques heures plus tard.

— Allez, les amoureux, on va se baigner tout nus !

Lovis, son téléphone et celui de la furie en main pour s'éclairer, leur lança un petit sourire contrit.

— Désolée, elle a beaucoup trop bu et dès qu'elle vous a vus, elle a lâché ses affaires et a couru en hurlant qu'elle....

Il s'interrompit brusquement.

— Misae, NON !

De justesse, il rattrapa la jeune femme qui voulait se jeter à la mer. La soulevant facilement sur son épaule, lui répétant qu'elle ne pouvait pas se baigner ivre, comme s'il s'adressait à une enfant.

— Je la ramène à l'intérieur, lança Lovis. J'en profite pour allumer les petites lumières extérieures ou vous préférez sans ?

Micah, qui comme Tamim s'était redressé, essayait de retirer le sable collant à son corps.

— On va rentrer, donc allume, histoire qu'on remonte sans encombre, s'il te plaît, rétorqua-t-il.

Lovis acquiesça en s'éloignant, Misae se débattant toujours pour rejoindre la mer. Les observant un instant s'éloigner, il finit par reporter son attention sur Tamim.

— Ça va ?
— C'est bizarre, souffla le brun. Je me sens aussi stupide que si j'avais fait la gueule à quelqu'un pendant des années, et que je réalisais soudain ne plus me souvenir de ce que je lui reprochais.

Il rit un peu.

— Je sais, c'est stupide comme comparaison. Tant de gens souffrent tellement à cause de ça et moi, je me plains d'avoir perdu du temps.

Tirant sur son débardeur, il soupira.

— C'est juste....

Il ne finit pas sa phrase, haussant les épaules.

— Ça n'a rien de stupide. Si c'est ce que tu ressens, alors c'est ce que tu ressens, lui assura Micah. Ça n'a pas à ressembler à ce que d'autres ont vécu ou pensé et ça ne veut pas dire que tu as, plus ou moins, souffert. Ce n'est pas une compétition et il n'y a pas de modèle précis à suivre ou de critères à remplir.

Les lumières longeant chaque côté, formant un passage jusqu'à la plage, s'allumèrent soudain, leur permettant de se voir bien plus clairement. Un peu surpris, ils se regardèrent dans les yeux, puis détournèrent la tête, une tension nouvelle présente entre eux. Une sensation presque électrique.

N'ajoutant rien, Tamim jeta un regard vers leur château de sable, encore intact, avant de soudain sauter dessus. Fronçant les sourcils, Micah l'observa un peu, surpris et amusé de le voir piétiner leur œuvre avec tant d'entrain. Il n'y avait pas de colère ou de douleur dans ses gestes, au contraire, il ressemblait à un gamin et un sourire étirait ses lèvres.

Micah aimait le voir comme ça.

— Je peux savoir quel est le crime de ce pauvre château ?

Tamim donna un petit coup dans le tas de sable, en envoyant voler un peu, du bout du pied.

— Rien, il a simplement fait son temps, répondit-il tranquillement. On en refera un demain, ensemble.




Lovis et Misae étaient toujours aussi épuisants, il faisait toujours aussi chaud et monopoliser l'attention de Micah était toujours un plaisir.

En une semaine, il n'y avait eu aucun changement sur ce plan-là. Mais d'un autre côté, Tamim savait que tout n'était pas exactement pareil. Micah et lui ne s'étaient rien dit, rien promis. Ils avaient beaucoup parlé, mais pas de sentiment ou de relation. Du moins, pas de leurs sentiments et de leur relation. Micah l'avait simplement rassuré, lui avait expliqué qu'il n'avait pas à exposer sa vie privée s'il ne le voulait pas, que ce soit au public ou à ses proches, et qu'il ne devait rien à personne. Qu'il n'avait pas non plus à coucher à tout prix ou à se mettre en couple, simplement pour avoir une sorte de "validation".

"Prends ton temps. Fais les choses comme tu le veux et à ton rythme. C'est merveilleux que tu puisses te sentir mieux et enfin commencer à t'accepter pleinement, mais ça ne veut pas dire que tu dois changer quoi que ce soit à ton mode de vie."

Ils ne s'étaient rien dit, mais leur relation était plus ouvertement affectueuse. Plus tactile. Tamim n'hésitait plus à s'asseoir sur les genoux de Micah et leurs mains se trouvaient toujours, sans que le hasard n'en soit responsable cette fois. Il osait, à son tour, caresser les cheveux ou la nuque de Micah, se penchait au-dessus de son épaule lorsqu'il lisait, embrassait son front, chuchotait à son oreille et ne baissait plus les yeux lorsqu'il croisait son regard, lui rendant ses clins d'œil.

Il osait et en plus, il osait devant Misae et Lovis.

Ces derniers n'avaient pas fait le moindre commentaire, ni paru perturbés par les changements, simplifiant davantage les choses pour lui. Tout était naturel entre eux depuis cette nuit sur la plage. Et c'est sûrement parce qu'il ne s'était jamais senti aussi à l'aise et en sécurité qu'avec Micah qu'il avait l'impression que cette relation, presque domestique, durait en réalité depuis des années.

Peut-être que dans le fond, c'était le cas. Que ça faisait depuis longtemps que leur relation était bien plus que de l'amitié.

Ce genre de pensées l'angoissait encore un peu, parce que les regrets, l'habitude de renier ses désirs et cette partie de lui, étaient encore présents, mais il ne fuyait plus à présent. Même s'il était encore bien trop souvent dépassé par ce qu'il ressentait. Dépassé par le fait que Micah ait envie de lui et peut-être même, des sentiments pour lui. Il avait envie de savoir, d'être sûr. Parce qu'il ne pouvait s'empêcher de se dire qu'il avait déjà perdu trop de temps et que plus le blond lui en donnait, plus il en voulait.

Mais d'un autre côté, il ne savait pas quoi faire pour avoir ses réponses. Il attendait, il espérait, mais il ne se voyait pas demander. Demander quoi et comment ? Tout était si nouveau pour lui, il avait l'impression d'être aussi maladroit et pressé qu'un adolescent face à son premier amour.

 



Nova était là.

Nova avec sa bouille de chat, ses jolies jambes pâles et ses cheveux roses. Son génie pour la musique, sa cuisine délicieuse, sa façon de prendre soin de tout le monde.

Nova qui semblait toujours savoir quoi faire ou dire et qui connaissait Micah mieux que personne. Qui avait été son premier amour. Celui qui lui avait permis de comprendre qu'il était gay.

Tamim savait que c'était stupide, que ça datait de leur adolescence, il y a plus de quinze ans, mais ça ne l'empêchait pas de paniquer. Il était sans doute un peu jaloux, mais il était surtout toujours en colère. À nouveau, il avait l'impression de faire face à son propre gâchis. Il se répétait en boucle que s'il n'avait pas passé tant d'années à se mentir, à se battre pour des broutilles disparues, qui ne manquaient à personne, même pas à lui, les choses seraient différentes.

S'il n'avait pas couru après une illusion, s'y enfermant en laissant tout ce qu'il avait de plus précieux, tout ce qu'il était, à l'extérieur, alors il n'aurait pas à vivre avec autant de regrets et de remords. Avec ce poids permanent sur les épaules et ce vide au fond de lui, qu'il savait impossible à combler, aujourd'hui. Une fois qu'il était trop tard, il n'y avait plus rien à faire. Il fallait juste passer à autre chose. Il avait essayé, mais à chaque fois qu'il pensait réussir, quelque chose lui rappelait que sa vie avait été bien trop longtemps vide de sens.

Que faisait-il pendant que Nova se faisait une place dans la vie et le cœur de Micah ? Que faisait-il lorsque le blond tombait amoureux de celui qu'il appelait encore affectueusement chaton ? Que restait-il de ses amitiés à lui ? De ces liens factices pour lesquels il s'était battu et renié ? De cette famille qu'il voulait protéger à tout prix, quitte à se détruire pour ça ?

Tamim était jeune. Tout le monde lui répétait qu'il était encore jeune.

Pourquoi se sentait-il si souvent fatigué, alors ? Si usé ?

Pourquoi avait-il l'impression qu'il n'aurait jamais assez de temps pour vivre tout ce qu'il voulait et comme il l'entendait ? Pourquoi chaque seconde passée loin de ce qu'il désirait le terrifiait, aussi longue et insoutenable que les années perdues ?

Il savait que ce n'était la faute de personne, pas même vraiment la sienne. Qu'il laissait la peur et ses démons parler. Que c'est son manque de confiance en lui et la crainte d'avoir enfin celui qu'il désirait depuis si longtemps qui le poussaient à penser au pire. À se dire que c'était trop tard, qu'ils n'avaient aucun avenir ensemble, qu'il avait imaginé les sentiments de Micah. Que c'est parce qu'il se détestait de ne pas avoir encore eu le courage de faire le premier pas, de partager clairement ce qu'il ressentait, qu'il était en colère. Que c'était à lui qu'il en voulait.

Toujours à lui qu'il en voulait.

Et maintenant qu'il avait fui, encore, qu'il avait laissé tout le monde faire la fête en ville, prenant l'une des voitures sans prévenir personne, comme ce qu'il aurait pu faire à l'époque où il était un gamin immature et égoïste, il se sentait ridicule.

Pathétique.

Il eut soudain peur de l'orage qui grondait dehors, des ombres que les arbres secoués par le vent dessinaient, de l'obscurité du salon et des voix de ses démons, qui susurraient à son oreille.

Et surtout, peur de lui-même.

 

 

 


 

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